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Plantes toxiques: comment apprivoiser les risques?

L'aconit est certainement la plante la plus dangereuse de la flore belge. L'ingestion de quelques grammes de racine suffirait à vous tuer. La toxicité de la cigüe, rendue célèbre par l'exécution de Socrate, fait également peu de débat. Par contre, pour de nombreuses autres plantes le caractère toxique est relatif. Mais au fond, comment les plantes toxiques sont-elles classées?

D’après le Jardin Botanique de Meise, les plantes toxiques sont définies comme celles qui occasionnent des lésions en cas de contact ou d'ingestion, avec un degré de toxicité qui dépend de différents facteurs. Hélas, quand on parle d’une plante toxique, on donne rarement ces précisions, et on pourrait croire que les plantes sont classées en deux catégories bien distinctes: toxiques et non toxiques. Pourtant, dans La flore médicinale, thérapeutique ou toxique? les auteurs glissent l’idée que cette classification manichéenne n’a pas de fondement scientifique.

Dans sa brochure sur les plantes toxiques, le Centre Antipoisons liste 122 espèces ou genres, la plupart étant des plantes exotiques ornementales. On y trouve bien sûr l’aconit et la cigüe, mais aussi la tomate, la pomme de terre, la sauge, la bruyère, le coquelicot... Il est vrai que la solanine, présente dans les tomates et les pommes de terre peut provoquer des vomissements et des diarrhées si elle est absorbée en grande quantité. ll est vrai aussi que des cas d’intoxication ont été rapportés suite à l’utilisation inconsidérée d’huile essentielle de sauge [1], que la bruyère peut se charger en métaux ou autres éléments indésirables [3] et que le coquelicot est de la même famille que le pavot, dont on extrait l’opium (pourtant il serait comestible! [4]). La notion de toxicité est donc toute relative, et même la cigüe et l’aconit sont ou ont été utilisées pour leurs vertus médicinales [1, 4]! Le vieil adage “le poison est dans la dose” s’applique donc bien aux plantes. Le tout est de savoir les utiliser.

Bernard Bertrand, dans son livre L’herbier toxique, regrette l’appauvrissement de la connaissance des plantes dans notre société, qui profite à l’industrie (phyto)pharmaceutique. Il est en effet troublant qu’en France, l’utilisation de purin d’ortie (recette de grand-mère anti-pucerons) a été interdite de 2006 à 2016 [5], alors qu’il a fallu attendre 2017 pour que l’usage de pesticides commence à être proscrit (“loi Labbé”).

Quand dans notre histoire les risques (bio)technologiques sont-ils devenus plus acceptables que les risques naturels? Peut-être à l’époque où Galilée (1564-1642) posait les bases de la science moderne, et Descartes (1596-1650) celles du dualisme corps-esprit, qui selon certains auteurs aurait mené à la séparation homme-nature dans la société occidentale contemporaine [6]? Remarquons au passage que cette époque coïncide avec la persécution des sorcières, traditionnellement détentrices des savoirs sur les plantes et leurs vertus, qui constituaient les principaux outils médicinaux. La médecine moderne s’est ensuite développée (avec des médicaments largement inspirés des plantes!), et sa pratique a longtemps été réservée aux hommes. Pour Sophie Swaton et Dominique Bourg, la scission nature-culture est plus récente [7] : elle daterait du XIXe siècle, avec l’essor de l’industrialisation et de l'anthropologie. Peut-être est-ce à cette période que les humains ont commencé à confier leur alimentation et leur santé à l’industrie (phyto)pharmaceutique, délaissant progressivement la nourriture et les remèdes offerts par la nature? 

Bien sûr, les médicaments de synthèse ont l’avantage d’avoir une composition standardisée et des effets mesurés par des essais cliniques. Alors que chez les plantes, la composition varie selon les organes (racines, feuilles, fruits…), l’âge des feuilles, la nature du sol, etc. En plus elles ont le fâcheux défaut de ne pas nous fournir de notice d’utilisation! Mais il ne s’agit pas ici d’opposer les plantes médicinales aux médicaments. La question est plutôt “comment bien utiliser les médicaments et les plantes médicinales?”.

Le Centre Antipoisons précise dans sa brochure qu’il est probablement impossible d’exclure toutes les plantes toxiques du jardin et conseille d’éduquer très tôt les enfants à ne pas toucher aux plantes sans demander l’avis d’un adulte. Pourtant, dans les milieux d’accueil de la petite enfance (crèches, prégardiennats, etc.), toutes les plantes de cette liste, sans distinction, sont interdites par l’ONE (Office de la Naissance et de l’Enfance). La volonté est évidemment de protéger les enfants et de faciliter le travail des puériculteur.ices. Mais on peut regretter le manque de nuance de cette mesure, même si l’ONE commence à encourager les milieux d’accueil à développer la biodiversité, comme l’atteste la parution prochaine du guide Accueil Nature, qui proposera une liste de plantes favorables à la biodiversité et sans danger pour les enfants.

Mais on peut se demander si tenir les enfants à l’écart des plantes toxiques est la meilleure manière de les en protéger. C’est a priori très positif de leur apprendre à cueillir des groseilles et apprécier leur goût acidulé, mais que se passera-t-il quand ils trouveront d’autres baies rouges, comme celles de l’if et du gouet tacheté, qui peuvent provoquer des vomissements, voire des troubles cardiaques? Ne serait-il pas plus pertinent de les leur montrer, pour qu’ils puissent les reconnaître? On peut au moins espérer que ces futurs adultes sauront gérer les risques des plantes “toxiques”… et les préserver!

 

Valérie Vanparys (septembre 2021)

 

[1] La flore médicinale – thérapeutique ou toxique? N. Noret, C. Stévigny & Matthias Vilain. Racine, 2018

[2] Brochure sur les plantes toxiques. Centre antipoisons, consulté le 07-09-2021

[3] Plantes protégées de la Région de Bruxelles-Capitale: La callune. Bruxelles Environnement, 2020

[4] L’herbier toxique – codes secrets pour plantes utiles : B. Bertrand. Plume de carotte, 2009

[5] Le purin d’ortie ami officiel des jardiniers. La Nouvelle République, 2018

[6] Dualisme cartésien. Wikipedia, consulté le 07-09-2021

[7] Aux origines de la catastrophe – Comment en sommes-nous arrivés là? Sous la direction de P. Servigne & R. Stevens. Les liens qui libèrent, 2020

 

 

 

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