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Hybridations et concurrence: quelques plantes à éviter

L’horticulture ornementale s’est fortement développée en Europe aux 18e et 19e siècles, parallèlement à l’importation d’espèces exotiques et à la demande croissante de (riches) collectionneurs. Ne se contentant pas d’acclimater et de multiplier des plantes d’origine lointaine ou d’apparence inhabituelle (p.ex. variations de coloris), les horticulteurs ont également créé des hybrides en croisant deux espèces ou davantage.

De nombreuses plantes ornementales font désormais partie de notre quotidien, et non sans raison: seringats, lilas et chèvrefeuilles parfumés, rosiers de toutes dimensions et couleurs, feuillages persistants, floraisons prolongées et hors-saison, excellents couvre-sol tels l’épiaire laineuse et les géraniums vivaces...

Mais parmi cet éventail séduisant se cachent quelques cas particuliers dont il convient de se méfier. Nous vous proposons un petit tour d’horizon non exhaustif.

De quel type de plantes parlons-nous?

Petite clarification: il ne sera pas question ici de plantes toxiques. En effet, ce n’est pas parce qu’une plante est vénéneuse qu’elle est sans intérêt au jardin, et surtout sans intérêt pour la faune: ce qui est toxique pour l’humain ne l’est pas forcément pour d’autres espèces! De plus, nous estimons qu’il est nécessaire de (ré-) apprendre à connaître les plantes, en ce compris et surtout les espèces toxiques, et d’éduquer nos enfants dans ce sens.

Dans ces lignes, nous évoquerons plutôt quelques plantes d’origine exotique ou horticole qui se sont révélées problématiques par rapport à la flore et à la faune autochtones. Il s’agit d’espèces végétales soit invasives, soit présentant un risque d’hybridation avec une espèce indigène, soit constituant un danger pour la faune sauvage locale.

Petit rappel de biologie

Une espèce biologique est un ensemble d’individus d’apparence similaire et pouvant, par reproduction sexuée, produire une descendance fertile. Ainsi, tous les humains, malgré des différences physiques superficielles, forment une seule et même espèce. Au fil du temps, les espèces évoluent car elles s’adaptent aux changements de leur environnement.

Une espèce peut aussi progressivement donner naissance à plusieurs espèces distinctes, si des populations se retrouvent géographiquement isolées: chaque groupe évolue alors de son côté, en fonction des conditions locales. L’apparition d’une nouvelle espèce prend beaucoup de temps (on compte ici en centaines de milliers d'années). Il faut donc longtemps avant que deux "branches parentes" ne soient plus interfécondes. Ainsi, le chien domestique et le loup peuvent encore produire une descendance fertile, tout comme le cochon et le sanglier. L’âne et le cheval peuvent s’hybrider, mais leur descendance est rarement fertile (c’est parfois le cas d’hybrides femelles issus du croisement d’un étalon et d’une ânesse). Dans des conditions artificielles, le lion et le tigre peuvent se reproduire entre eux, mais leur descendance est toujours stérile. Quant à croiser une vache et un phacochère, vous pouvez toujours essayer!

Cette divergence progressive des espèces s’observe évidemment aussi chez les plantes, avec des possibilités d’hybridation plus ou moins fructueuses. Saules, peupliers, tilleuls et autres s’hybrident ainsi naturellement avec facilité, donnant des cheveux blancs aux botanistes qui tentent de les identifier. Pour leur part, les horticulteurs n’ont pas manqué de tirer parti de la proximité génétique entre espèces pour créer volontairement des hybrides intéressants: nous leur devons ainsi des milliers de variétés de rosiers et de fruitiers, dont les espèces parentes peuvent provenir des quatre coins du globe.

Cas d’école: les jacinthes

Si certains hybrides végétaux sont stériles (ce qui permet de longues floraisons puisque la plante ne dépense pas d’énergie à produire des graines), d’autres sont parfaitement fertiles. Vous connaissez certainement la jacinthe des bois (Hyacinthoides non-scripta), qui colore de violet le sol de nos forêts au printemps. Une espèce proche mais beaucoup plus imposante, la jacinthe d’Espagne (Hyacinthoides hispanica), a été introduite en Europe du Nord pour l’ornementation des jardins. Ces deux jacinthes se sont révélées interfécondes et ont produit spontanément un hybride, Hyacinthoides x massartiana.

Or, cette nouvelle jacinthe est bien fertile et peut se croiser avec ses parents, créant ainsi des populations très variables dans leur apparence. De plus, elle se ressème abondamment et forme par conséquent des populations très denses. De ce fait, elle peut concurrencer la jacinthe des bois indigène.

D’autres espèces exotiques ou issues d’hybridations peuvent également se croiser avec des espèces indigènes, et ainsi dénaturer la flore indigène, déjà mise à mal par la raréfaction des habitats naturels: primevères, narcisses, ancolies… Si, comme la jacinthe hybride, il s’agit d’une espèce très vigoureuse, il y a de plus une concurrence directe avec notre flore locale.

Évitez ainsi de planter le géranium de l’Himalaya à proximité du géranium des prés (leur hybride, 'Johnson’s Blue', est un célèbre couvre-sol), ou la sauge des bois (Salvia nemorosa) à proximité de la sauge des prés (leur croisement donne Salvia x sylvestris). Méfiez-vous également des muguets au look inhabituel et des perce-neige un peu trop robustes (originaires du proche Orient).

Enfin, parmi les couvre-sol, il convient de vous mettre en garde contre le lamier panaché. Souvent vendu dans le commerce comme lamier jaune (Lamiastrum galeobdolon), il s’agit plus précisément de la sous-espèce argentatum. Le pépiniériste honnête précisera 'Florentinum' ou ‘Variegatum’ sur son étiquette. Il s’agit probablement d’un hybride d’origine horticole entre les deux sous-espèces européennes de lamier jaune. Ce couvre-sol bulldozer, au feuillage panaché d’argenté (voire de bordeaux) et semi-persistant, est souvent planté dans les zones ombragées, qu’il couvre rapidement en évinçant la concurrence. Dont celle de notre lamier jaune indigène, Lamiastrum galeobdolon montanum, aux feuilles plus étroites et pratiquement dépourvues d’argenté.

Vous en avez déjà chez vous?

Certaines de ces plantes "à risque" sont très répandues dans les jardins bruxellois, en particulier la jacinthe hybride et le lamier panaché. Si ces espèces sont présentes chez vous, il sera probablement difficile de les éradiquer complètement, d’autant plus que vos voisins ont probablement les mêmes – et qu’au demeurant vous les trouvez peut-être charmantes.

Dans ce cas, renoncez à implanter les espèces indigènes qui risqueraient de s’hybrider avec elles. Ou bien séparez clairement les indigènes de leurs concurrentes Si, comme de nombreux Bruxellois, vous habitez une maison mitoyenne avec un jardinet côté rue, vous pouvez par exemple utiliser des lamiers panachés comme couvre-sol persistants à l’avant de chez vous, et planter du lamier jaune indigène dans le jardin arrière (sans la concurrence de son envahissant cousin).

Fleur tueuse de papillons

Les onagres à fleurs jaunes sont présentes depuis longtemps dans la flore européenne. Originaires d’Amérique du Nord, ces grandes plantes bisannuelles se sont répandues et adaptées en Europe sans poser de réel problème et font le délice des papillons de nuit. Plus récemment, l’horticulture a introduit chez nous une petite onagre vivace: l’onagre rose (Oenothera speciosa). Ce couvre-sol joliment fleuri s’est révélé problématique pour le moro-sphinx, un papillon reconnaissable à son vol stationnaire, qui fait penser à un colibri lorsqu’il butine. Attiré par le nectar de l’onagre rose, le moro-sphinx peut se retrouver la langue coincée dans la fleur et mourir d’épuisement. Le tube de la corolle est en effet un chouïa trop étroit pour lui...

Invasions végétales

Par ailleurs, certaines espèces exotiques ornementales et/ou appréciées des apiculteurs se sont révélées si bien adaptées à notre climat qu’elles se sont répandues hors des jardins. Loin de leur région d’origine, elles sont préservées de leurs concurrentes et "prédateurs" naturels. Elles peuvent alors avoir tendance à supplanter la flore indigène dans certains milieux. On parle dans ce cas d’espèces invasives (invasive = exotique + envahissante).

Vous connaissez certainement plusieurs de ces espèces: les très mellifères solidage du Canada et solidage glabre, la balsamine de l’Himalaya et la petite balsamine avec leurs fruits explosifs, la gigantesque et photosensibilisante berce du Caucase (gare aux brûlures!), la renouée du Japon et la renouée de Sakhaline, le mahonia si difficile à arracher, le faux-fraisier qui concurrence le fraisier sauvage, les spirées originaires d’Amérique du Nord, plusieurs asters nord-américains, le rosier rugueux qui envahit les dunes littorales, le cotonéaster horizontal, le cornouiller soyeux…

Face à cette problématique, l’Union européenne a financé le projet Life+ AlterIAS, mené de 2009 à 2013 en vue de sensibiliser le secteur horticole. Dans ce cadre, des alternatives aux espèces invasives les plus courantes en Belgique ont été sélectionnées. Découvrez-les dans cette brochure!

Ces plantes sont présentes dans votre jardin? Restreignez fortement leur développement, empêchez-les de disséminer leurs fruits et graines, voire arrachez-les – et pas question de composter tout ça, ces déchets doivent partir à l’incinérateur via le sac poubelle blanc.

Entre concurrence et risques d’hybridation, soyons attentifs à ce que nous plantons!

 

Julie Bingen (juin 2023)

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