La biodiversité dans l'habitat bruxellois? Une question de volonté
30 octobre. Coin de rue. Saint-Gilles. Un renard passe discrètement à l’aube. Quelques heures plus tard, ce sont 190.000 voitures (et autant d’Homo sapiens) qui pénètrent dans Bruxelles.
13 février. Une quinzaine de cigognes blanches bifurquent soudain vers le Nord en plein centre de Bruxelles. Quelques passants s’arrêtent étonnés.
7 juillet. Il fait chaud et les terrasses sont bondées. Un martinet rentre à toute allure dans son nid. Qui l’a vu passer à 50 km à l’heure? Juste moi, je crois.
10 octobre. Un discret hibou des marais passe en vol juste au-dessus de la Gare du Midi. Et comme chaque jour, 60.000 voyageurs la fréquentent.
Souvent sans le savoir, l’activité des hommes et des animaux se côtoient sur les mêmes territoires. La nature en ville, une réalité?
Urbain
Loin d’être un désert de biodiversité, la ville accueille une multitude de vie. Celui qui pourra la déceler en deviendra riche de mille et une observations et subtilités. Par ses températures plus clémentes, une disponibilité en nourriture et une absence de prédateurs, nombre d’animaux y élisent domicile!
Et si l’on devait comparer la ville à un milieu naturel, on choisirait le milieu de rocailles, fait de pierres sèches, falaises, éboulis, carrières, poussière… avec pas ou peu de terre. Minérale, la ville possède également ces caractéristiques et accueille donc une faune et flore spécifiques…
Espèces cavernicoles… Découvrons…
Les espèces cavernicoles, ou cavicoles, ont la particularité d’aimer les cavités, les trous. Elles les colonisent généralement pour y nicher, mais elles peuvent aussi s’en servir pour hiberner, se protéger des intempéries ou des prédateurs. Les cavernicoles sont bien inféodés au milieu de rocailles (mais pas que) et donc au milieu urbain.
Originellement, ces cavités étaient naturelles: trous dans un vieil arbre, anfractuosités dans une falaise, etc. En ville, on trouve principalement des cavités d’origine anthropique: trous de boulin (appelés également trous d’échafaudage), fissures dans une corniche, espace sous les toits,… où de nombreux oiseaux se côtoient:
- Le faucon pèlerin niche naturellement en falaise ou en carrière, alors qu’en ville il trouve son bonheur sur les hautes tours de nos églises ou hôtels de ville.
- Le pigeon biset trouve son compte sur les rebords de nos bâtiments.
- Les rougequeues se plaisent dans les cavités semi-ouvertes; une brique manquante dans un mur pourra faire son affaire.
- Les martinets mais aussi les moineaux nichent à la belle saison dans les trous d’échafaudage et les fissures dans les corniches.
Il n’y pas que les oiseaux qui sont cavernicoles; les mammifères (comme les chauves-souris) et les insectes (osmies) le sont également.
Problématiques
Les espèces cavernicoles sont donc intimement liées à l’habitat, au bâti. Et c’est peu dire car si le bâti du dernier siècle intégrait inconsciemment une série de cavités (on pense aux typiques maisons de maître bruxelloises), nos conceptions changent, nos manières de construire et de rénover aussi.
La problématique est simple: nous rebouchons petit à petit tous les trous. La disponibilité en cavités diminue et nos espèces cavernicoles sont dès lors condamnées puisqu’incapables de trouver le lieu propice à la naissance, puis à l’élevage de leurs jeunes.
Nos maisons sont de plus en plus lisses et hermétiques à toute nature: les graines ne peuvent plus s’y accrocher, les fissures ne peuvent plus accueillir les œufs d’hyménoptères, les moineaux et martinets n’y nicheront plus. Nous rompons des relations entretenues pourtant depuis très longtemps.
Il serait réducteur de croire que seul le bâti est en cause. L’espace urbain est de plus en plus dense et minéralisé. C’est même une volonté de minéraliser et de simplifier l’espace, de manière à avoir des espaces publics dits "fonctionnels". Fonctionnels pour l’homme, parce que l’on pense souvent que la nature, c’est en dehors des villes.
Pourtant, nous pouvons clamer haut et fort (malgré les sourires des sceptiques) que les tchip-tchip d’un moineau en janvier nous font bien commencer l’année avec toutes ses bonnes (et réalistes) résolutions, les sri-sri des martinets nous font sentir le printemps au plus profond de nous-mêmes, et le bourdonnement des abeilles dans les tilleuls nous rappelle que la vie est là, à côté, au-dessus et en nous.
C’est une multitude de détails qui nous donne de la nature en ville. Protégeons-les.
Habitat vivant
C’est un des grands enjeux de notre époque: construire des maisons accueillantes pour la faune et la flore.
La première et principale stratégie est de conserver les cavités existantes! Ces cavités sont principalement les trous de boulins. Ce sont ces trous présents sur les façades des anciennes maisons bruxelloises, ils sont soit appelés trous de boulins ou trous d’échafaudage car ils permettaient autrefois de fixer les échafaudages à la façade.
Ils représentent une disponibilité en cavités très intéressante: en façade avant et arrière, intégrés au bâti et à l’architecture, ils représentent même une caractéristique de notre patrimoine. Soyons avant-gardiste et cessons de les reboucher, pour éviter de devoir créer, dans 10 ou 15 ans (quand les populations d’oiseaux auront disparu) une prime à leur réouverture ou de devoir poser des nichoirs tout azimut.
Pour les conserver, que faire?
- Ne pas les reboucher lors de rénovations;
- S’ils sont pourvus d’une cache-boulin, les rouvrir de 5 cm, cela permettra aux moineaux et martinets d’y nicher tout en empêchant les pigeons de s’y installer;
- Certains architectes cherchent des solutions de cache-boulins avec trou d’envol intégré! Par exemple, des cache-boulins en forme de tête de lion avec une bouche de lion ouverte formant ainsi le trou d’envol.
Ensuite, les villes (mais aussi les communes, les quartiers) peuvent mettre en place une stratégie de restauration. Le concept? Si les fissures et les trous sont rebouchés lors de rénovation, il faut les remplacer par d’autres. Comment? En aménageant votre corniche par exemple! Les corniches sont des espaces généralement creux qui peuvent donc devenir des cavités parfaites pour nos oiseaux. Il suffit de les pourvoir d’un trou d’envol!
Quand ces deux stratégies sont épuisées, il faut alors substituer les cavités disparues par des cavités artificielles: soit avec des aménagements intégrés, soit avec la pose de nichoirs.
Protection de la faune et administration
Il est interdit de détruire intentionnellement les nids d’oiseaux sauvages. Mais quand personne ne sait où se trouvent les nids, il est difficile de les protéger. Surtout s’ils sont tout au fond d’une cavité obscure à 15m de hauteur.
A Saint-Gilles, l’administration s’est positionnée en adoptant une décision de collège (décision approuvée par les membres du collège) sans précédent. Les propriétaires de façades qui seront amenées à être rénovées là où des nids de martinets sont recensés ne pourront pas juste reboucher le nid (qu’il soit dans un trou de boulin, une fissure). Il faudra soit laisser le nid existant, soit proposer une alternative comme réouvrir le trou de boulin, aménager sa corniche, ou encore poser un nichoir, si bien que le martinet, revenant à son nid, retrouvera sa cavité intacte ou en trouvera une toute neuve à proximité.
Une cinquantaine de bâtiments sont actuellement recensée avec des nids (de martinets) à Saint-Gilles.
Pour protéger, il faut connaître. Et pour connaitre, il faut investir dans le recensement des espèces en ville. Natagora le fait déjà, d’autres asbl aussi et certains groupes de citoyens s’y mettent: Groupe "moineaux et martinets" à Saint-Gilles, à Uccle, Martine Wauters à Jette et bien d’autres.
Il faut cependant que citoyens et commune coopèrent pour que les choses changent en profondeur. Chaque commune devrait être pourvue de groupes citoyens à thématique (plantes, potager, oiseaux, etc.) subventionnés via des appels à projets afin de recréer un lien entre les citadins et la nature. Le groupe serait aidé d’un chargé de biodiversité appartenant à l’administration communale, qui serait le relais, ancré dans la réalité d’une commune, d’un territoire mais aussi ancré dans l’administration. Chaque commune pourvue d’un chargé de biodiversité mènerait un projet particulier avec, à intervalle régulier, des échanges d’idées, de connaissances et d’expériences intercommunales!