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Micro-forêts et patrimoine arboricole bruxellois: quelques réflexions pour nourrir l’avenir

Les micro-forêts s’enracinent un peu partout dans Bruxelles” titrait, en février, Sudpresse. Force est de constater qu’en effet, cette pratique se multiplie en Région de Bruxelles-Capitale. Les micro-forêts fleurissent d’ailleurs bien au-delà des frontières de la Région et séduisent citoyen·nes, communes, associations, écoles et entreprises. Différentes initiatives se côtoient, telles que Tiny Forest de GoodPlanet, Urban Forests ou encore SoWoods. 

Qu’est-ce qu’une micro-forêt?

Tantôt appelées “forêts urbaines Miyawaki”, tiny-forests ou encore micro-forêts, ce sont des petites parcelles de terrain plantées de manière dense (3 à 7 plants au m2) avec diverses essences d’arbres et d’arbustes, sur une surface généralement inférieure à un hectare. Les arbres sont très près les uns des autres pour favoriser la compétition et la formation d'un épais couvert végétal. Une attention est mise sur la plantation d’espèces naturellement présentes sur le territoire choisi, ou qui l’étaient auparavant.

L’ambition est de reconstituer rapidement des écosystèmes forestiers “complexes”, avec la promesse de créer une forêt 10 fois plus vite, 30 fois plus dense et avec 20 fois plus de biodiversité. D’autres fonctions écologiques sont mises en avant, comme l’amélioration de la qualité de l’air et la réduction de l’effet “îlot de chaleur urbain”: avec 100 m² d’arbres, la température peut descendre d’un degré jusqu’à 100 mètres aux alentours.

L’arbre, un outil (parmi d’autres) pour une ville vivable

Les arbres sont des éléments essentiels de l’environnement urbain. Leurs fonctions sont très nombreuses: dépollution, capture du carbone, rafraîchissement, refuge de biodiversité, enrichissement des sols et ralentissement de leur érosion, bien-être psychologique, connexion avec la nature, etc. La protection des arbres existants, la plantation de nouveaux arbres et la (re)création d’espaces boisés et de bosquets sont des éléments importants pour le maintien de la biodiversité en ville, de sa viabilité et participent aux bien-être des citadins.

Pour valoriser ces effets bénéfiques, des plans “canopée” ou des plans de végétalisation voient le jour dans de nombreuses communes. À côté de cela, des villes, des régions ou d’autres entités se sont dotées d’une charte de l’arbre ou d’un outil similaire concernant le patrimoine arboricole. Il s’agit de mettre en œuvre des actions de végétalisation des milieux urbains et développer de bonnes pratiques pour la gestion des arbres urbains.

En Région bruxelloise, même le rapport de la Commission d’experts sur le Règlement Régional d’Urbanisme a intégré des recommandations sur les arbres et leur apport en milieu urbain. Les experts proposent par exemple la présence d’au moins un arbre par 200m2 de jardin ou d’avoir au minimum 30% de surface de canopée végétale dans les espaces privés.

Il est essentiel de protéger les arbres matures et d’éviter les abattages non justifiés, car leur perte peut avoir un impact significatif sur l’environnement local. Il est également évident que la plantation de nouveaux arbres, surtout dans les quartiers denses, doit faire partie des plans d’aménagement de l’espace public.

Cependant, planter des arbres et développer les zones boisées ne doivent pas être les seules actions menées pour végétaliser et renaturer la ville. En effet, la qualité d’un réseau écologique, même urbain, est garantie par la diversité des milieux naturels. Chaque type de milieu a ses propres caractéristiques physiques, chimiques et biologiques et joue un rôle spécifique dans le fonctionnement global du réseau. L’arbre est donc un outil parmi d’autres, choisi en fonction du contexte et des besoins locaux.

Une micro-forêt n’est pas une forêt

Une forêt, à l’origine, n’a pas besoin d’être plantée. Elle se développe seule, en passant par de multiples stades étalés sur un siècle, voire deux. Une forêt mature nécessite un sol forestier ancien et se développe donc sur un temps long (plus de 200 ans).

Une forêt peut être vue de manière un peu plus large, en incluant des forêts plantées et gérées par l’homme. La FAO définit ainsi les forêts: “Terres occupant une superficie de plus de 0,5 hectares avec des arbres atteignant une hauteur supérieure à 5 mètres et un couvert forestier de plus de 10%, ou avec des arbres capables d’atteindre ces seuils in situ. Sont exclues les terres à vocation agricole ou urbaine prédominante”.

Les “micro-forêts” ne remplissent pas les critères énumérés ci-dessus. Il s’agit en réalité de petites parcelles plantées, que l’on qualifierait plus de bosquets que de forêts.

Utiliser le terme “micro-forêts” revient à affirmer que ces plantations sont équivalentes aux forêts elles-mêmes, tant dans l’esthétique que dans les fonctions écologiques. Or, il n’y a pas encore assez de recul scientifique, dans nos contrées d’Europe occidentale, quant à l’apport de ces fonctions, les besoins d’entretien et la plus-value de cet aménagement.

À l’origine, il s’agit d’une pratique développée principalement sous un climat subtropical humide, au Japon. Le contexte écologique est donc bien différent de celui de nos régions tempérées européennes, avec probablement des impacts et des résultats différents.

Par contre, des études scientifiques ont bien été faites sur nos milieux forestiers traditionnels. Les analyses tendent à montrer que les fonctions écosystémiques se déploient pleinement dans une forêt mature, qui accueille le maximum de sa biodiversité aux stades âgés, voir sénescents. Il semble donc prématuré d’annoncer que les fonctions écologiques d’une micro-forêt peuvent être assurées au bout de quelques années seulement.

Des bosquets qui posent question…

Le manque de recul sur l’impact des micro-forêts dans nos régions laisse la porte ouverte à de nombreuses questions, qui resteront pertinentes tant que de nouvelles études ne seront pas effectuées, sur plusieurs années et dans notre contexte biogéographique spécifique. 

  • Qu’en est-il de l’impact de la densité de plantation sur le développement des arbres? Une plantation dense implique d’avoir des arbres qui grandissent rapidement, mais qui filent vers le haut. En conséquence, ils ont un tronc moins épais, des branches moins nombreuses et moins de surface foliaire. Les surfaces d’échanges s’en retrouvent limitées, ainsi que potentiellement certaines fonctions telles que les capacités de captation de carbone, d’évapotranspiration, de fixation des particules… D’autres études tendent à montrer que, dans certains climats, ces plantations denses occasionnent une forte mortalité. Une des rares études sur l’efficacité de la méthode Miyawaki a détecté une mortalité de 61% à 84% des arbres une dizaine d’année après leur plantation. Si ce n’est pas un problème en soi, cela implique malgré tout que l’essentiel des jeunes pousses plantées dans un projet de micro-forêt urbaine n’arriveront pas à devenir des arbres.
     
  • Comment faut-il gérer ce type de plantation et avec quels résultats à long terme? Les entreprises qui se sont lancées dans la commercialisation de ces pratiques annoncent qu’aucun entretien n’est nécessaire au bout de quelques années. La question de la gestion se poserait donc lors des toutes premières années d’existence de la micro-forêt, puis celle-ci serait laissée en libre évolution. Lorsqu’on laisse une forêt classique s’établir en développement et/ou régénération spontanée, sans gestion, l’installation peut prendre du temps, mais il existe une certaine garantie que le développement sera adapté aux conditions locales. L’incertitude est encore grande pour les micro-forêts.
     
  • Aux stades pionniers du développement des forêts, de nombreuses interactions complexes entrent en jeu, permettant à une multitude d’espèces de trouver les conditions d’un développement optimal. Dans le cas des micro-forêts, cette succession naturelle des stades forestiers est complètement ignorée, avec le risque que la compétitivité s’impose comme facteur de sélection principal, plutôt que l’adaptation au milieu. Quel est l’impact de cette compétition forcée sur les dynamiques de développement des espèces?
     
  • Certaines fonctions écologiques et sociales sont elles aussi questionnables au vu de la manière dont l’aménagement est mis en œuvre, en tout cas en Région bruxelloise. Par exemple, qu’en est-il de l’effet rafraîchissant, sachant que les micro-forêts bruxelloises sont généralement inaccessibles aux habitants et aux passants, et que l’effet de l’évapotranspiration ne leur profite donc que partiellement.
  • Last but not least, qu’en est-il des coûts de ces plantations par rapport aux fonctions potentiellement atteintes? Un projet de mini-forêt urbaine revient à environ 3.000 euros les 100 m². Ce coût important peut évidemment varier et s’explique par la densité de plantation, de trois plants (ou plus) par m². À cela, s’ajoute le travail en amont: étudier le lieu, son exposition aux vents, préparer le sol, choisir les espèces locales, animer le projet auprès des participant·es. L’investissement initial en vaut-il la peine sur le long terme?

Quelles prises de recul et quelles priorités?

Le manque de recul et le nombre très limité d’études scientifiques dans les zones tempérées ne permettent pas d’objectiver et d’affirmer de manière certaine tous les bienfaits énoncés de la micro-forêt. Pour l’heure, il s’agit plus d’un slogan que d’une réelle révolution en termes de techniques de renaturation.

De plus, on peut douter du fait que ce genre d’aménagement puisse compenser la perte des habitats naturels et produire une biodiversité et des services de manière plus importante et plus rapide.

D’autres politiques plus simples, mieux connues et moins coûteuses, devraient être prioritaires pour favoriser la nature en ville: 

  • arrêter l’artificialisation et l’imperméabilisation des sols;
  • préserver les grands arbres et les espaces forestiers existants;
  • planter en ne pensant pas uniquement en nombre d’espèces, mais aussi en surface végétalisée. Par exemple, en Suisse, certains parlent d’un espace de 25m2 de pleine terre par arbre;
  • penser en termes de réseau et de diversité des milieux à l’échelle d’une ville ou d’une région. Certaines zones nécessitent parfois le maintien d’espaces ouverts plutôt que de forêts afin de favoriser la biodiversité.

Conclusion

Les bienfaits sociaux des micro-forêts ne sont pas remis en cause dans cet article, ni la nécessité de végétaliser les zones urbaines. Ce type de plantation est un concept a priori séduisant qui, bien utilisé, peut contribuer à la (re)végétalisation de nos villes, au bien-être des citadins et peut-être même à leur reconnexion avec leur environnement naturel.

Cependant, certains chercheurs en écologie et foresterie émettent des réserves sur les vertus de la méthode Miyawaki en milieu urbain tempéré. Son application doit être étudiée de manière plus approfondie et il est nécessaire de délimiter clairement les situations où son usage est souhaitable.

Il est à craindre que le recours à des formules toutes faites, presque “clé sur porte”, participe à la standardisation des méthodes de végétalisation et de renaturation, là où une approche au cas par cas est préférable pour maximiser le développement de la biodiversité.

Laisser une place accrue au développement spontané, en respectant les différents stades de succession, offre plus de résilience sur le long terme qu’une plantation contrainte et forcée. Cela prendra du temps, comme cela prend du temps à une jeune forêt pour devenir une forêt mature, mais les espèces qui s’installeront seront probablement mieux adaptées au milieu et auront plus de chances de s’établir durablement.

La biodiversité ne se mesure pas au nombre d’arbres plantés à toute vitesse. De plus, les motifs de plantation doivent être réfléchis, autant que les essences choisies. En effet, la qualité des réseaux écologiques est non seulement basée sur la taille des noyaux de biodiversité, mais aussi sur la diversité de ceux-ci, et notamment sur la variété des habitats présents à l’échelle d’un territoire. En ce qui concerne les espaces forestiers denses, ceux-ci profitent davantage aux oiseaux et sont moins favorables aux insectes et aux chauves-souris, qui ont besoin d’espaces plus ouverts ou de zones de lisières.

Appréhender le milieu forestier ne s’improvise pas. C’est faire preuve d’humilité que de lui laisser le temps nécessaire pour atteindre ce niveau de complexité qui lui permet de rendre les milliers de services que nous connaissons.

 

Charlotte Simon et Amandine Tiberghien (juin 2023)

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