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Protéger la nature, un objectif désirable?

De nombreuses associations à travers le monde luttent pour préserver les espèces sauvages et leurs habitats, en créant des réserves naturelles, en poussant les autorités à édicter des lois, etc. “Faut-il protéger la nature?” est la question que les participants avaient  choisi de débattre lors du café philo organisé par Natagora Bruxelles le 6 novembre 2023. Dans la lignée de ce débat, je vous propose de réfléchir à la notion de protection: que révèle-t-elle de notre rapport à la nature? Protéger la nature est-il un objectif réaliste à long terme? Est-ce que cela nous fait rêver? Pourrions-nous viser mieux?

Que veut dire "protéger"?

Lors du café philo, un participant a fait remarquer que, dans cette idée de protection, les humains ne sont pas inclus dans la nature. Quand on pense à la protection de la nature, on peut imaginer en effet quelqu’un qui pose une cloche en verre sur un espace naturel.

Le responsable d’une réserve naturelle est appelé “conservateur”, tout comme le responsable d’un musée. Les réserves naturelles sont-elles des musées vivants, des lieux où l’on met à l’abri un patrimoine précieux?

Quoi qu’il en soit, la personne qui protège est actrice de la situation, tandis que la nature est l’objet, un objet fragile et précieux qui a besoin des humains pour sa préservation. Or, si on part de l’idée que les humains font partie de la nature, cette image n’a plus de sens. Quel humain aurait envie de se mettre sous cloche?

Mais au fond, contre quoi protégeons-nous la nature?

Les cinq causes de perte de biodiversité communément admises sont

  • la destruction des habitats naturels (urbanisation, artificialisation des sols…)
  • la surexploitation des ressources naturelles (agriculture intensive, coupe à blanc des forêts…)
  • le changement climatique
  • les pollutions (de l’eau, des sols et de l’air)
  • les espèces exotiques envahissantes (introduites par les humains volontairement ou non)

Ce qui menace la nature, c’est donc essentiellement notre système économique, qui considère la nature comme une mine de ressources et d’espaces à exploiter. La création de réserves naturelles vise donc à soustraire des terrains à cette exploitation.

Est-ce une mission réaliste?

Selon une participante au café philo, il faudrait plutôt arrêter de privilégier les humains. Dans un système où la production économique est la priorité, où elle est même souvent considérée comme la seule voie possible, quel poids, quelle valeur a la nature? Dans un monde où les mesures environnementales sont perçues comme un frein au développement économique (plutôt qu’une opportunité), protéger la nature n’est-il pas, à long terme, voué à l’échec? C’est un peu comme écoper l’eau dans le bateau sans réparer le trou dans la coque. On le lit régulièrement dans les journaux: les victoires, souvent modestes et partielles, obtenues par les protecteurs de la nature sont toujours fragiles, risquant immanquablement  d’être anéanties dès qu’un problème économique se présente (agriculteurs en difficulté, demande de logements, de créer des emplois…). Alors si cet objectif n’est pas réaliste, oserait-on rêver à autre chose?

Que souhaitons-nous?

On pourrait rêver que le statut de protection des réserves naturelles soit irrévocable pour l’éternité, que les mesures politiques favorables à la nature soient gravées dans le marbre à tout jamais. Mais c’est évidemment impossible. Au début du XXe siècle, l’écrivain naturaliste John Muir avait déjà alerté le président américain Roosevelt sur le paradoxe entre exploitation et protection de la nature (voir par exemple:https://cedrictourbe.net/foccart). Alors, oserait-on rêver que la nature n’ait plus besoin de la protection des naturalistes?

Quels autres objectifs pourrions-nous viser?

Comment pourrions-nous reformuler notre objectif? Chercher un équilibre, quitte à abandonner les activités humaines qui détruisent la nature?  A ce sujet, il existe des initiatives telles que le Réseau Natura 2000, qui protègent des zones de haute valeur biologique, tout en autorisant certaines activités économiques qui ne dégradent pas l’habitat naturel. Mais ne faudrait-il pas aller plus loin et changer notre rapport à la nature, notre système de valeurs, à travers l’éducation et la sensibilisation, pour que les humains (re)prennent conscience de leur dépendance de la nature, en prennent soin et la respectent? Pourrait-on créer un monde où elle ne serait plus en danger et n’aurait plus besoin d’être protégée?

Qu’en est-il à Bruxelles?

Lors du café philo, la question “quelle nature faut-il protéger?” avait rapidement été soulevée. Les réserves naturelles et beaucoup de mesures politiques s’intéressent à la nature “extraordinaire”, autrement dit aux espèces rares  essentiellement présentes dans de grandes réserves naturelles, comme il y en a peu en ville (1,7% du territoire de la Région de Bruxelles-Capitale). Pourtant, la nature plus “ordinaire” - les jardins privés, les parcs publics, les friches et même les “mauvaises herbes” des trottoirs - a son importance, non seulement par sa valeur intrinsèque, mais parce que pour la plupart des citadins c’est la seule nature accessible.

À Bruxelles, le combat pour la nature s’articule plutôt contre l’imperméabilisation des sols que pour la création de réserves naturelles (voir la position de Natagora sur la nature en ville). Autrement dit, l’enjeu est plus de préserver de la verdure que de conserver la nature. C’est déjà un défi énorme, car même si les Bruxellois ont la chance de vivre dans une ville verte (avec 52% du territoire couvert de végétation), l’imperméabilisation des sols s’accélère, près de 14% de la surface du sol ayant été imperméabilisée entre 2003 et 2016.

Et le phénomène se poursuit, avec des projets de construction sur les dernières grandes friches, comme celle de Josaphat. Dans une capitale comme Bruxelles, protéger la nature revient à composer avec tous les enjeux qui se concentrent sur ce petit territoire, et chaque mètre carré qui échappe à l’artificialisation est une victoire.

En guise de conclusion

La protection de la nature est nécessaire, mais ne peut pas se suffire à elle-même. Lutter contre ce qui détruit la nature est une tâche titanesque, mais permet de viser des résultats plus cohérents, d’entrevoir un avenir plus désirable, où prendre soin de la nature serait tout simplement humain. De nombreuses associations combattent déjà le système qui détruit la nature, souvent dans un objectif tout à fait différent (agriculture durable, santé humaine, justice sociale, commerce équitable, décolonisation…). Se soutenir mutuellement, mettre en avant nos convergences, serait peut-être la meilleure façon d’atteindre nos objectifs…

 

Valérie Vanparys (avril 2024)

 

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