Réenchantons nos villes
Il n’y a pas que les champs agricoles qui sont désertés par les oiseaux, les villes le deviennent aussi. De récentes études ont démontré une diminution globale de notre avifaune. Mais ne nous étalons pas et ne pleurnichons pas, cet article vous présente des mobilisations citoyennes et une initiative de la commune de Saint-Gilles! Il vous propose plein de changements afin de réenchanter nos villes. Qui est motivé(e)?
La puissance du peuple: Les moineaux
Un constat: nos moineaux ont disparu. Pourtant, pendant des milliers d’années, ils ont vécu avec les hommes, proches de nous, tellement proches que nous les remarquions moins, les écoutions moins (et ne les encodions quasiment pas dans observations.be). Le résultat tombe: en près de 25 ans, c’est 95% de la population qui a diminué à Bruxelles.
Que se passe-t-il donc? C’est une question primordiale en tant que citadin amateur ou passionné de nature. La problématique principale vient de notre conception de la ville, de l’espace public et privé. Nos villes sont de plus en plus urbanisées, bétonnées, aseptisées. Nos villes deviennent de plus en plus propres, pas d’herbes ni de plantes indigènes entre les dalles des trottoirs, des communes fleuries aux plantes horticoles stériles, des pelouses et des buissons tondus à ras… Nos villes deviennent irrémédiablement hermétiques à toute faune et flore.
C’est alors qu’il y a quelques années, quelques citoyens saint-gillois se mobilisent, forment un groupe, discutent, réfléchissent, font parler d’eux et lancent le mouvement et sont soutenus par la commune de Saint-Gilles et Bruxelles Environnement. C’est le fameux "Groupe moineaux". Ce groupe est constitué d’une quinzaine de personnes très actives qui donnent des conférences, font des visites de terrain, animent des ateliers, font du recensement… Et ça marche! Les moineaux, certes timidement, reviennent à Saint-Gilles et sont de mieux en mieux accueillis. Leur manière d’agir: sensibiliser, recenser et faire recenser les moineaux pour ensuite agir autour des colonies existantes afin de les renforcer et qu’elles puissent s’étendre. Et le mouvement a suscité énormément d’intérêt auprès des citoyens!
C’est ça la puissance du peuple! Des citoyens convaincus, travailleurs et intelligents. On encourage tous les citoyens de toutes les communes à oser lancer le projet dans leur quartier, dans leur commune. N’hésitez pas à contacter le Groupe moineaux afin d’avoir plus d’informations (techniques, ornithologiques et autres!).
A savoir sur les moineaux domestiques:
Les moineaux domestiques (Passer domesticus) vivent près des hommes, sont sédentaires (ils restent toute l’année en Belgique) et sont grégaires (vivent en groupe). Leur présence a été tellement forte à nos côtés que nous ne les remarquons plus, pourtant si vous tendez l’oreille, vous en entendrez à certains endroits bruxellois!
Voici 5 grandes actions à mener pour revoir nos moineaux:
- Poser des nichoirs: les moineaux sont cavernicoles et grégaires, une colonie nécessite donc un nombre important de cavités. Il faut, dès lors, poser plusieurs nichoirs avec plusieurs places à l’intérieur. Il faut agir là où se trouvent déjà des moineaux, car ceux-ci ont une aire de 300 à 500 mètres autour de la colonie (il faut penser à l’orientation et à la durabilité du matériau également).
- Mettre à disposition des mangeoires: les adultes sont granivores tout au long de l’année, mais les jeunes sont insectivores (période d’avril à septembre), il faut donc respecter les étapes du nourrissage, être constant et éviter d’exposer les graines à l’humidité.
- Planter: créer des espaces avec des plantes indigènes, produisant du nectar, des fleurs, des graines, des baies… C’est un cycle complet que vous engagez en plantant intelligemment. Les moineaux font leur vie sociale dans les buissons, les lierres, etc. Un mur de lierre qu’on laisse fleurir, quelle richesse!
- Installer un poulailler: poule ou pas, c’est l’idée qui compte, nos moineaux ont en fait besoin d’espace avec de la poussière afin de prendre un "bain", de plumes et autres pour faire leur nid…
- Rénover et construire des habitats vivants: que ça soit votre propre habitation, celle d’un voisin ou un bâtiment où vous savez que des moineaux ou autres oiseaux nichent, il faut expliquer, sensibiliser à ne pas reboucher systématiquement tous les trous ou à poser des nichoirs ou des briques-nichoirs, à aménager les trous de boulins, à mettre des tuiles spéciales… (oyez oyez citoyens, mais aussi et surtout architectes et professionnels de la construction).
Une commune investit: Martinets et hirondelles
Le Groupe moineaux ayant fait bouger les choses, la commune de Saint-Gilles, subventionnée par Bruxelles Environnement, a décidé d’investir. Le projet "Rétablissement des populations d’hirondelles de fenêtre et de martinets noirs" est lancé en avril 2018. Il est mené par la MaisonEcoHuis.
A Bruxelles, les martinets sont encore fort présents partout, les milieux minéraux leur conviennent parfaitement (comme Saint-Gilles) contrairement aux hirondelles de fenêtre, plus exigeantes, qui ont besoin d’étendues d’eau, de zones vertes, de boue, de paille et autres pour la construction de leur nid… Plusieurs colonies d’hirondelles existent sur Bruxelles, la plus importante se trouve à Watermael-Boitsfort.
La problématique des martinets est en partie similaire à celle des moineaux: le manque de cavités dans nos villes. Ce manque provient de la rénovation et de la construction de bâtiments: par réflexe, on bouche tous les trous, ce qui est intéressant pour le bâtiment basse énergie mais catastrophique pour le bâtiment vivant. La RSPB (Royal Society for the Protection of Birds) note une diminution de 51% dans le succès de reproduction sur la période 1995-2015. La disparition de cavités semble être la principale cause, mais notons aussi le déclin du plancton aérien (insectes aériens) et les éventuels problèmes dans les pays d’hivernage et sur la route migratoire.
La MaisonEcoHuis a décidé de poursuivre deux objectifs: celui de sensibiliser les citoyens à la présence des martinets et à leurs besoins et celui de mieux les accueillir. Ce deuxième objectif sera concrétisé d’une part en posant des nichoirs ou en aménageant les trous de boulins (anciens trous en façade pour les échafaudages, voir photo ci-contre) chez les particuliers et sur les bâtiments communaux et d’autre part en entamant une discussion avec le monde de la construction et de l’architecture.
Le recensement de l’espèce n’est pas aisé. Recenser les lieux de nidification est complexe car les nicheurs sont extrêmement rapides et silencieux, contrairement aux juvéniles qui sont en bande (appelée sarabande) et qui font des tours dans les rues, crient et effleurent les bâtiments afin de repérer les lieux intéressants pour leur première nidification (1, 2, 3 ou 4 ans plus tard). Pourtant, il vous suffit de lever les yeux pour apercevoir les martinets dans le ciel!
Comme les hirondelles ne nichent qu’en colonie et qu’aucune colonie n’existe actuellement à Saint-Gilles (une colonie existait à l’hôtel de ville il y a 30 ou 40 ans), le projet se concentre principalement sur les martinets. Aucune pose de nichoirs d’hirondelles n’est prévue présentement mais de la sensibilisation est menée.
A savoir sur les martinets noirs:
Souvent confondu avec l’hirondelle (que l’on ne voit que dans certaines zones précises), le martinet noir (Apus apus) appartient pourtant à une famille bien différente: la famille des Apodidés ("sans pattes"). Celles-ci se sont atrophiées au fil de l’évolution du fait que le martinet passe la majeure partie de sa vie… en vol. Il passe effectivement les 4 premières années sans se poser et se posera ensuite uniquement lors de l’élevage des petits (pour les nourrir, défendre sa cavité, etc.). C’est un des oiseaux les plus aérodynamiques qui existent!
Le martinet noir passe en fait la majeure partie de l’année en Afrique sub-saharienne et revient nicher dans sa cavité, la même pendant des années, dans nos contrées pour seulement 3 mois (mai-juin-juillet). Ils seront dès lors, si vous avez de la chance, vos voisins estivaux.
Insectivores, ils peuvent capturer jusqu’à 500 espèces différentes. Ils suivent les insectes (appelés plancton aérien) dans le ciel, vous les verrez donc voler bas lors de journées orageuses et haut dans le ciel lors des belles journées au ciel bleu et sans vent.
A savoir sur les hirondelles de fenêtre:
Il existe 3 espèces d’hirondelles en Belgique: l’hirondelle de fenêtre inféodée au milieu anthropique et aux villes plus particulièrement, l’hirondelle rustique inféodée au milieu anthropique mais plus campagnard et l’hirondelle de rivage, plus rare, qui niche sur les rives naturelles.
Les hirondelles de fenêtre (Delichon urbicum) nichent à l’extérieur des bâtiments, en-dessous de la corniche généralement. Elles construisent leur nid fait de boue, de paille, de salive et peuvent y nicher plusieurs années d’affilée jusqu’à ce qu’il tombe.
Les hirondelles ne vivent que quelques années, contrairement aux martinets qui peuvent vivre jusque 15-20 ans. Les adultes doivent donc réussir leur reproduction pour que les populations se maintiennent. La problématique de destruction des nids est donc primordiale. Le déclin de l’espèce vient aussi (comme pour le martinet) de la disparition du plancton et de problèmes sur les routes migratoires.
En 2005, on ne comptait plus que 60 couples sur Bruxelles. Grâce à des passionnés (Charles Carels, Mario Ninanne et leur groupe de bénévoles) les populations ont grimpé. Près de 250 couples sont actuellement recensés en Région bruxelloise! Une belle initiative à nouveau! Si vous êtes motivés par cette initiative n’hésitez pas à contacter le GT Hirondelles.
3,2,1 Actions: Que faire?
Vous pouvez aider les moineaux, les martinets et les hirondelles de mille manières, à vous de choisir celle(s) qui vous correspond(ent):
- Sensibilisez votre entourage, faire un jardin sauvage, avoir une habitation vivante…
- Recensez vos observations sur observations.be ou communiquez-les: Groupe moineaux – MaisonEcoHuis - GT Natagora Hirondelles ou Martinets.
- Vous êtes architecte, professionnel de la construction, agent immobilier ou un citoyen qui veut bâtir ou rénover: consultez-nous! Nous nous ferons un plaisir de venir sur place dans discuter et de vous proposer des solutions!
Pour aller plus loin:
- Nos hirondelles et martinets (Natagora)
- Le martinet noir (Natagora)
- Et si on invitait les hirondelles à la maison?
- Action Martinet de la RSPB (Grande-Bretagne)
- L’habitat vivant (document RSPB, Grande-Bretagne)
Merci à Martine Wauters, Alain Paquet, Mario Ninanne et Charles Carels pour leurs connaissances et leurs partages.
Elisa Ruwet (juin 2018)