Le marais Wiels
Il était une fois un marais impromptu, apparu par surprise dans le bas de Forest, dans l’ancien lit de la Senne, sur des terres autrefois occupées par les brasseries Wielemans-Ceuppens. Nous sommes à 1500 mètres de la gare du Midi, entre l’avenue Van Volxem et le chemin de fer, près du centre d’art contemporain Wiels (sur lequel trônait un faucon pèlerin mangeur de pigeons avant qu’il ne décède, vraisemblablement empoisonné). Il y a de l’eau, des roseaux, des buissons, de la vie…
Pour démarrer cet article, j’ai essayé l’intelligence artificielle (ChatGPT), en posant la question: Pourquoi faut-il protéger le marais Wiels? Voici la réponse:
Le marais Wiels est une zone humide protégée située en Belgique. Il s'agit d'un site naturel important qui abrite une variété d'espèces animales et végétales, dont plusieurs sont menacées ou rares. Il offre également un habitat à de nombreux oiseaux migrateurs. La protection du marais Wiels est nécessaire pour conserver cette riche biodiversité et assurer la pérennité des ressources naturelles et des services écosystémiques qu'elle fournit. La protection du marais Wiels est également importante pour préserver la qualité de l'eau et des sols, et ainsi améliorer la qualité de vie des populations locales.
Bon, c’est pas mal, sauf un point: ce n’est pas du tout une zone protégée. Au contraire, même. Le promoteur, précédent propriétaire du site, voulait y construire plus de 200 logements. Le quartier s’y est opposé bec et ongles [1] et la Région bruxelloise a fini par racheter le site pour… le sauver? Non, pour y construire quand même, mais 80 logements seulement, plus aménager le site, plus des équipements, plus plus… C’est pourtant simple, la nature a juste besoin d’un peu de place. Si on coupe le site en deux, on coupe la biodiversité en petits morceaux. Bref, il va falloir se mobiliser. Vous allez voir, ce n’est pas désagréable.
Mais d’abord, un peu d’histoire
Nous sommes en 2007, après l’époque des brasseries Wielemans-Ceuppens. Il n’y a pas encore d’eau. Restent trois bâtiments le long de l’avenue Van Volxem : le Brass, devenu un centre culturel dédié à l’art contemporain, le Blomme, bâtiment art déco édifié par l’architecte Adrien Blomme (d’où son nom), et le Métropole, ancien siège social des brasseries, transporté depuis la place De Brouckère (eh oui, le recyclage se portait bien à l’époque), en mauvais état et, actuellement, les deux niveaux inférieurs dans l’eau du marais (ce qui, paradoxalement, a pu contribuer à le préserver, telles les fondations de Venise qui ne peuvent subsister qu’immergées).
En 2007, la priorité est de construire du bureau. Bruxelles en a besoin. Maintenant, la ville compte plus d’un million de m2 de bureaux vides [2], mais soit… Le chantier démarre (les plots de béton qui apparaissent dans le marais en sont la trace) et… perce la nappe phréatique, coincée entre deux couches d’argile et soumise à pression. L’eau sourd (la pression provoque une résurgence) et finit par envahir le site, formant un bel étang de près de 9.000 m2. Pas grave, on va pomper l’eau et l’envoyer aux égouts payés par la collectivité, histoire d’engorger la station d’épuration à la première averse… Néanmoins, en 2008, la crise financière arrête le chantier.
Alors, plan d’eau ou pas plan d’eau?
Juridiquement, la question n’est pas neutre, car "sont interdits, les actes et travaux amenant à la suppression ou à la réduction de la surface de plans d'eau de plus de 100 m² et les travaux amenant à la suppression, à la réduction du débit ou au voûtement des ruisseaux, rivières ou voies d'eau” (prescription A.04 alinéa 1er du Plan régional d’affectation du sol ou "PRAS"). Donc, si le marais Wiels est un plan d’eau, pas question de construire dedans. Le glossaire du PRAS ne définit pas le plan d’eau. Logiquement, il faudrait alors s’en référer au dictionnaire.
Il existe bien une ordonnance du 16 mai 2019 relative à la gestion et à la protection des cours d'eau non navigables et des étangs, dont l’article 2, 8° définit comme suit un “étang”: masse d'eau de surface stagnante d'une superficie d'au moins 100 m2, remplissant une dépression, naturelle ou artificielle. Le marais Wiels répond à la définition, même si, selon certains, il ne s’agirait pas d’un “étang régional” au sens de l’article 2, 9° de l’ordonnance, c’est-à-dire un étang désigné comme étang géré par Bruxelles Environnement (bien que ce soit Bruxelles Environnement qui gère le marais). Disons qu’on aimerait que le marais soit également repris dans l’atlas du réseau hydrographique bruxellois. Pour l’instant, ce n’est pas encore le cas.
Un coin de nature dans un quartier qui en a grand besoin
Rien qu’en oiseaux, le marais compte 94 espèces observées. Le grèbe castagneux est nicheur, ce qui est exceptionnel en centre-ville. Au printemps, les oiseaux chanteurs ne manquent pas (fauvette grisette, rousserolle effarvatte). En migration, le chevalier guignette est un hôte régulier. Sur la carte d’évaluation biologique, le site est repris en zone de haute à très haute valeur biologique. Contrairement à d’autres étangs urbains, il n’y a pas d’eutrophisation.
Le marais fait également office de bassin d’orage en cas de fortes précipitations (rétention des eaux de ruissellement, évacuation du trop-plein par évaporation ou via le réseau hydrographique de la Senne) dans un quartier où l’aléa d’inondation est moyen à élevé. C’est en outre un espace vert dans un quartier qui en manque cruellement, le seul espace vert reconnu comme tel à proximité immédiate étant… la plaine de jeux Diversity, coincée entre deux voies de chemin de fer et largement bétonnée. Rappelons que le plan régional de développement durable (PRDD) prévoit de renforcer le maillage vert, dont font notamment partie le marais Wiels et la friche Josaphat [3].
Comme tout espace vert en ville, le marais offre un îlot de fraîcheur et de détente. C’est très appréciable dans une commune de la première ceinture, alors que les zones vertes de Bruxelles (qui diminuent, moins 14 % en vingt ans) se trouvent surtout en pourtour de ville. La nature en ville n’a rien d’un long fleuve tranquille et sera ce que les habitants en feront.
Maintenant, on se retrousse les manches
Les 28-29 janvier et 25-26 février 2023, Natagora Bruxelles organise, avec l’asbl MaraisWielsMoeras et le collectif Les Fé.e.s, deux chantiers de gestion, pour couper les saules qui envahissent la roselière nord. Cuissardes bienvenues (ou solides chaussures pour ceux qui évacueront le produit de fauche).
Quand on vous disait que c’était un plan d’eau…
Eric De Plaen (janvier 2023)
[1] Pour ceux qui ont Facebook : https://www.facebook.com/MaraisWiels/, le Collectif Les Fé.e.s et, maintenant, l’ASBL MaraisWielsMoeras
[2] Ce qui n’empêche pas le lobby de l’immobilier (certaines autorités publiques comprises) de dénoncer le "grand fantasme des bureaux vides bruxellois" selon lequel seuls 20% des bureaux vides pourraient être reconvertis en logements (ce qui fait tout de même plus de 200.000 m2, ce qui permettrait déjà de loger pas mal de monde) alors même que Perspective.Brussels relève dans le même temps: "L’Observatoire des bureaux de Perspective analyse les mouvements depuis 1997 et l’on peut constater que depuis cette date, 1.674.298 m² de bureaux ont été convertis. Entre 2018 et 2020, 56% des conversions ont été réalisées vers la création de logements, 31% vers des équipements, 5% vers du commerce et 8% vers d’autres secteurs d’activités (activités productives…)". On a la cohérence qu’on peut…
[3] Voir la carte page 100 du PRDD, reprise dans l’axe 2 - Mobiliser le territoire pour développer un cadre de vie agréable, durable et attractif, stratégie 5 - Renforcer le paysage naturel, dont le premier titre est "renforcer le maillage vert". On y est…