Bourgeons sous la loupe au Scheutbos
Par une glaciale matinée de décembre, qu’un soleil timide réchauffe à peine, le guide-nature Hugues-O Hubert nous emmène inspecter les bourgeons des arbres du Scheutbos, à Molenbeek, pour tenter de les identifier en hiver, une fois les feuilles tombées ou flétries.
Comment l’arbre perd-il ses feuilles et entre en dormance? Notre guide nous l'explique
Selon les arbres ou arbustes, le feuillage peut être persistant, avec souvent des feuilles coriaces et vernissées (comme le houx qui, pour limiter l’évapotranspiration en hiver, ferme les stomates des feuilles); ou caduque (l’arbre perd entièrement ses feuilles en automne); voire marcescent, comme les charmes, les hêtres ou les chênes, qui conservent leurs feuilles sèches une bonne partie de l’hiver.
Les feuilles tombent lorsque la durée du jour et donc la lumière diminuent. Le rendement de la photosynthèse baisse et elles consomment trop d’énergie. Les vents étant plus forts en automne, la chute des feuilles permet aussi de réduire la prise au vent et de limiter le poids de la neige éventuelle qui s’accumulerait sur les branches. Les fins canaux portant la sève et l’eau des racines aux feuilles et bourgeons sont menacés par le gel. Le tronc et les branches sont protégés par l’écorce et les racines sont à l’abri dans le sol mais les feuilles resteraient exposées. Des capteurs photosensibles de la feuille envoient donc un signal à l’arbre pour qu’il isole les feuilles des réseaux de sève et que celles-ci tombent.
L’arbre entre en dormance pour préparer les beaux jours: il réduit son activité métabolique, limite sa croissance pour empêcher le gel de jeunes tissus fragiles et conserver de l’énergie. Il s’agit aussi d’empêcher la formation de bulles d’air lors des cycles de gel-dégel dans les vaisseaux qui transportent la sève brute des racines jusqu'au sommet de l'arbre. Ces bulles pourraient obstruer le passage de la sève. L’arbre peut aussi augmenter la quantité de sucres dans ses capillaires pour y faire baisser le point de congélation.
Comment se déclenche la fin de la dormance? L’arbre perçoit les variations de température et de lumière (via les phytochromes), les variations de durée du jour et de la nuit. Le nombre de jours de temps froid devrait lui indiquer la saison.
Et en pratique, comment identifier l’arbre sans ses feuilles?
Place à la pratique: après avoir évalué le port général de l’arbre, sa taille, ses couleurs (on évoque les rameaux rouges du cornouiller sanguin), nous piquons du nez au pied de l’arbre pour un examen des indices éventuels au sol: feuilles rabougries tombées au pied de l’arbre, restes de fruits (bogues de châtaignes…), etc. Si ces éléments ne suffisent pas à identifier l’arbre, le type de bourgeons fait partie des outils de détermination.
Les bourgeons sont produits dès juillet, mais leur développement par division cellulaire est bloqué. Il faudra un certain nombre de jours de temps froid pour débloquer ce processus. De même, un froid intense est nécessaire pour activer certaines enzymes fournissant l’énergie aux bourgeons et permettre le “débourrage“, l’éclosion des bourgeons végétatifs (qui formeront des rameaux feuillus) et floraux. Le réchauffement climatique dérègle ces mécanismes, en avançant le débourrage.
Les bourgeons peuvent se situer sur un rameau ou sur le tronc. Sur un rameau, la première observation à faire concerne la position des bourgeons: ceux-ci se présentent-ils en position alternée, opposée, en spirale? Ensuite d’autres critères sont examinés: leur couleur (bourgeon rouge du châtaignier), leur forme (en boule, pointu) et la présence d’écailles protégeant des insectes et du froid. Les écailles peuvent être velues et former une couche isolante ; voire épaisses et enduites d'une d'une résine collante comme chez le marronnier d’Inde (cette résine est utilisée par les abeilles pour fabriquer la propolis).
Les petits bourgeons alternés et pointus du charme sont comparés à ceux plus ronds de l’érable plane. Sous le bourgeon, on repère la cicatrice foliaire. Elle indique la forme du pétiole de la feuille tombée et, grâce à la loupe de notre guide, nous distinguons les perforations des canaux secréteurs transportant la sève. La forme de cette cicatrice foliaire, large en U pour le frêne ou étroite et en V pour l’érable est un critère de détermination. Pour se protéger du froid, le bourgeon du robinier faux acacia pousse, lui, entre 2 aiguilles et sous la cicatrice foliaire. Nous observons les précoces bourgeons floraux sphériques et velus du cornouiller mâle qui fleuriront dès février. Les ombelles jaunes annonceront le printemps avant la feuillaison.
La feuillaison ne se limite pas au printemps et peut se répéter plusieurs fois sur l’année. Certains arbres comme le chêne peuvent avoir 3 feuillaisons par an.
Chez les arbres dont la pollinisation s'effectue par le vent, ce sont les bourgeons floraux qui s'ouvrent en premier. Si les feuilles étaient formées avant les fleurs, elles gêneraient la dispersion du pollen. Dans le cas du noisetier, dont on peut apercevoir des fleurs mâles (les "chatons") précoces dès décembre, il y aura un décalage d’une semaine entre l’apparition des fleurs femelles et des fleurs mâles pour éviter l’autofécondation et la consanguinité. Les fleurs mâles libèrent leur pollen avant que les fleurs femelles soient réceptives.
La position des bourgeons sur le rameau en spirale permet d’optimiser l’occupation de l’espace et l’exposition des futures feuilles à la lumière sans qu’elles se superposent. Le volume d’air dont disposera chaque feuille, donc son aération, doit être maximal également. Elles doivent être à la fois assez proches mais assez écartées. La disposition en spirale répond à des règles mathématiques.
Sur le tronc d’un tilleul, on aperçoit enfin des bourgeons épicormiques: ce type de bourgeon, poussant à même le tronc, pourrait permettre, par exemple, de reconstituer des parties endommagées de la couronne de l’arbre après une tempête ou de profiter d'une trouée de lumière pour accroître sa surface foliaire après la chute d’une branche porteuse.
À vos loupes, clés de détermination et lancez-vous!
Pour aller plus loin
Des ouvrages et des clés de référence peuvent vous aider à préparer vos balades hivernales:
- Clesse Bernard, Clé de détermination des principaux arbres, arbustes, arbrisseaux et lianes de Belgique en hiver, Cercles des Naturalistes de Belgique, 2013.
- Clé des bourgeons. Identifier 48 arbres et arbustes à partir d’un rameau et des bourgeons, La Salamandre, miniguide 106, 2020.
- Les écorces. Reconnaître 36 arbres par leur écorce et découvrir les nombreux usages de leur bois, La Salamandre, miniguide 118, 2002.
- Lenne Catherine, Dans la peau d'un arbre. Secrets et mystères des géants qui nous entourent, Belin, 2021.
- Schulz Bernd. Guide des bourgeons et rameaux, Delachaux et Niestlé, 2015.
Des visites guidées thématiques sont organisées régulièrement au Scheutbos, à Molenbeek. Consultez le programme sur www.scheutbos.be.
Laura Vandenbergh (janvier 2023)