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L’exploitation de la nature et la domination des femmes auraient-elles des points communs?

L’exploitation de la nature par les humains et la domination des femmes par les hommes auraient-elles une origine commune? Les droits des femmes, autant que ceux de la nature, sont une lutte permanente. Jusqu’où peut-on pousser ces comparaisons? Quelle est l’origine de ces similitudes? Que faire de cela en termes de militance?

 

J’ai entendu parler d’écoféminisme pour la première fois il y a à peine deux ans, pourtant le mouvement existe au moins depuis les années 1970. Ce qui m’a plu immédiatement dans ce concept, c’est la remise en question des dualités telles que nature/culture, femme/homme qui classent implacablement les êtres et les choses dans des catégories bien distinctes. Je ne vais pas tenter de faire une analyse de l’écoféminisme, je vous encourage plutôt à lire les références en fin d‘article. Ce qui m’intéresse ici est de partager, en tant que volontaire Natagora, ce qui retient mon attention dans ce concept.

Depuis René Descartes, la philosophie occidentale est fortement empreinte de dualisme, qui oppose femme et homme, animal et humain, corps et esprit, sauvage et civilisé, nature et culture, émotion et raison… (lisez aussi notre article Les animaux : automates ou malins singes?). Dans chaque dualité, les deux parties ne sont pas égales en valeur. De manière générale, c’est le côté de la raison qui est valorisé. La rationalité justifie la domination de l’autre. Se forme alors une pyramide de dominations, avec les hommes au sommet et la nature tout en dessous. Appartenant au genre humain, les femmes sont proches du sommet, mais leur sexe les tire plus près de la nature que de la culture. Simone de Beauvoir dénonçait déjà l’essentialisation du lien entre les femmes et la nature. Aujourd’hui des études démontrent qu’il s’agit d’une construction sociale. Mais l’éducation des filles, axée sur le “care”, c’est-à-dire le soin apporté aux autres, les amène à adopter davantage de comportements écologiques que les hommes [1].

Les féministes comme Simone de Beauvoir voulaient que les femmes s’émancipent en passant du bon côté du dualisme, celui qui est valorisé, c’est-à-dire du côté masculin, en se détachant de la nature, du corps et des émotions. Une deuxième voie féministe (parfois dite féminisme culturel) ne cherche pas à changer la position des femmes, mais à inverser l’échelle de valeurs. Les caractères associés au féminin, comme le soin, les émotions, l’empathie, la coopération, devraient être plus valorisés que les caractères associés au masculin. L’écoféminisme propose, lui, une troisième voie, en remettant en question le dualisme même et en cherchant une vision plus souple des identités [2].

Si certaines féministes (féminisme libéral) aspirent à grimper les échelons de la pyramide pour accéder à la liberté et au pouvoir dont les hommes bénéficient, les écoféministes quant à elles font l’effort de décentrer le regard et de remettre en question le bien-fondé du sommet de cette pyramide patriarcale [2]. En cela, l’écoféminisme est sans doute le féminisme le plus radical, puisqu’il ne s’agit pas de changer la place des femmes dans le système, mais de changer de système, autant dans l’intérêt des femmes que des hommes - du moins 99% d’entre eux - des non-humains et des générations futures.

Vandana Shiva est une des icônes de l’écoféminisme, connue pour son combat contre les multinationales, en particulier celles comme Monsanto qui privatisent le vivant à travers les brevets sur les semences, aggravant ainsi la pauvreté des paysan·nes. Elle force le trait de cette pyramide en soulignant que tout au sommet se trouvent 1% des hommes les plus riches [3], qui cherchent à devenir toujours plus riches grâce à la mécanique capitaliste, en s’appuyant sur les femmes, pour produire une main d’oeuvre qui exploite toujours plus les ressources naturelles. Pour elle, le capitalisme est fondamentalement patriarcal et l’émancipation des femmes est intimement liée à la lutte pour la réappropriation des terres et le développement de l’agriculture biologique.

    Selon Françoise d’Eaubonne, considérée comme la mère de l’écoféminisme, la domination des femmes coïncide avec les débuts de l’agriculture au néolithique, où les hommes ont appris à maîtriser la reproduction des animaux… et du même coup leur propre reproduction. Auparavant, l’enfantement était selon elle un “pouvoir” féminin qui relevait d’un certain mystère [4]. Ce raisonnement amène à établir un parallèle entre la maîtrise de la reproduction des animaux d’élevage (par l’insémination et d’autres techniques) et la reproduction des hommes (par l’interdiction de l’avortement, mais aussi des sanctions plus sévères infligées aux femmes en cas d’adultère, et de nombreuses autres règles propres aux sociétés patriarcales).

    En déconstruisant la dualité nature/culture, l’écoféminisme amène à un nouveau rapport entre les humains et la nature, voire une remise en question du concept même de nature (voir par exemple [5]). Les écoféministes prennent conscience que les humains font partie d’un environnement où tout est connecté. Prendre soin de cet environnement et accorder un statut de sujet (et non plus d’objet) à la nature devient alors évident.

    Le slogan “Nous ne sommes pas la nature, nous sommes la nature qui se défend” est parfois associé au mouvement écoféministe. La pensée écoféministe amène en effet à critiquer l’idée que la nature doit être protégée par les humains, tout comme celle que les femmes doivent être protégées par les hommes, en raison de leur passivité et de leur fragilité. Et certaines activistes “déplorent une écologie trop environnementale et trop gestionnaire” [6].

      Dans le même ordre d’idées, l’écoféminisme critique aussi les sciences modernes, dont l’apparition coïncide avec celle du capitalisme et du colonialisme et qui prônent une vision mécaniciste de la nature: un ensemble d’objets qui s’articulent de manière mécanique (par opposition à une vision organiciste: ensemble de liens entre les êtres vivants [6]). Les femmes en ont longtemps été exclues, alors qu’au Moyen Âge elles avaient un rôle médical important. Le développement des sciences modernes fait d’ailleurs suite à plusieurs siècles de chasse aux sorcières, que l’on peut considérer comme la persécution de femmes savantes, puissantes et/ou indépendantes des hommes [7].

      Les actions écoféministes, comme des tricots géants, des chants, des danses ou des rituels de sorcières, des sit-in ou des occupations de ZAD, peuvent sembler dérisoires face à des projets de centrales nucléaires, de méga-prisons ou autres puissants lobbys [5]. Pourtant, et c’est peut-être plus important que d’obtenir gain de cause (à court terme), ces actions permettent de développer un nouveau rapport à la nature, de se réapproprier des savoirs et savoir-faire perdus ou dévalorisés, d’expérimenter de nouvelles manières d’être ensemble

        En tant que militante de Natagora, je tire deux conclusions de ce que j’ai lu et entendu sur l’écoféminisme. Premièrement, tant que le dualisme et le système de domination ne seront pas déconstruits, la nature sera constamment menacée. La protection de la nature dans un système capitaliste est vouée à l’échec. D’ailleurs, plutôt que la protection de la nature, l’idéal serait un monde où la nature n’est pas menacée (même si cela n’arrivera pas de notre vivant). Deuxièmement, l’écoféminisme offre un énorme potentiel fédérateur. À travers le prisme de l’écoféminisme, on prend conscience que de nombreuses luttes se rejoignent (féministes, écologistes, sociales, antiracistes...) et que nous avons intérêt à unir nos forces pour faire face aux défis actuels. Et je terminerai par les mots de Philippe Vion-Dury, rédacteur en chef de Socialter : l’écoféminisme est “un puits qui offre un peu d’eau fraîche aux réflexions de notre temps, un terreau où plonger ses racines. Ce devrait être pour nous, femmes et hommes, une source de puissance.” [8].

        Valérie Vanparys (janvier 2023)
         

         

        Références :

        1. Les femmes sont conditionnées dans l’enfance à être plus écolos, Magali Treholan. Reporterre  https://reporterre.net/Les-femmes-sont-conditionnees-dans-l-enfance-a-etre-plus-ecolos
        2. Le patriarcat contre la planète, Les Couilles sur la Table avec Jeanne Burgart-Goutal https://www.binge.audio/podcast/les-couilles-sur-la-table/le-patriarcat-contre-la-planete
        3. 1 %. Reprendre le pouvoir face à la toute-puissance des riches, Vandana Shiva. 2019 
        4. Ecoféminisme #2 : Retrouver la Terre, Un podcast à soi https://www.youtube.com/watch?v=TJh3UXj55wY&t=212s
        5. Qui a inventé la nature? Les Idées Larges :  avec Philippe Descola https://www.youtube.com/watch?v=UD1vw-d8ZJ0
        6. «Nous sommes la Nature qui se défend », Nathalie Grandjean. Démocratie
          http://revue-democratie.be/index.php?option=com_content&view=article&id=1594:nature&catid=68&Itemid=201
        7. Sorcières. La puissance invaincue des femmes, Mona Chollet. 2020
        8. Socialter n°47 : Êtes-vous écoféministe? https://www.cairn.info/magazine-socialter-2021-5.htm
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