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Le tilleul argenté: un ennemi méconnu des abeilles!

Lors d'une de mes balades au mois de juin du côté de la Chaussée d’Alsemberg, je me suis retrouvé nez-à-nez avec une trentaine d’abeilles et de bourdons morts ou en train d’agoniser. Toutes et tous présentaient un comportement commun évoquant les troubles d’équilibre et d’orientation caractéristiques des abeilles exposées aux néonicotinoïdes – cette gamme d’insecticides neurotoxiques produits par les Monsanto & co et jusqu’à nouvel ordre rayés du paysage bruxellois. Néanmoins, en poussant un cran plus loin mes recherches, il semblerait que la pierre serait en réalité plutôt à jeter du côté d’une espèce d’arbre exotique qui peuple nos rues: le tilleul argenté (Tilia tomentosa).

Pas de pesticides pulvérisés clandestinement, mais, en revanche, une espèce en apparence tout à fait banale et très répandue en région bruxelloise qui représenterait une menace pour nos abeilles – remarque, le terme "abeille" est ici utilisé comme raccourci pour désigner non seulement l’abeille domestique (Apis mellifera) mais également l’ensemble très nombreux des autres espèces dites "sauvages" comme les bourdons, les osmies, les andrènes, etc.

Mais revenons-en à nos tilleuls… Tilia tomentosa est un arbre appartenant à la famille des Malvaceae – même famille que les roses trémières ou encore de l’hibiscus –, et répondant également au nom de Tilleul de Hongrie. Son lieu d’origine: l’est du bassin méditerranéen. Étant en outre particulièrement résistant à la pollution et adapté au milieu urbain, on le retrouve couramment en ville parmi d’autres comme le Gingko biloba, le Platane à feuilles d’érable, le tilleul à grandes feuilles (dont le feuillage ne présente pas les mêmes reflets argentés), etc. Bref, un bon compromis en apparence pour verdir les paysages urbains, et pourtant! Tout semble converger aujourd’hui pour montrer que le tilleul argenté représente une réelle menace pour nos abeilles, en particulier les années marquées par un climat très sec. La raison en est simple: plus il y a pénurie d’eau, moins l’arbre produira de nectar à la belle saison. Au demeurant, rien de mortel… Si le tilleul argenté n’avait cependant pas cette particularité d’émettre malgré tout un parfum irrésistible qui attire abeilles et bourdons sans avoir quoi que ce soit à leur mettre sous la dent. Et les abeilles et bourdons s’obstinent, s’épuisent, et finissent par se poser au sol avant de mourir d’inanition.

L’impact du phénomène n’est à ce jour pas encore quantifié, mais selon Pierre Rasmont, professeur émérite à l’université de Mons spécialisé dans l’étude des abeilles, cette attractivité trompeuse serait à la base d’une mortalité importante chez plusieurs espèces d’Apidae, dont en particulier le bourdon terrestre (Bombus terrestris). Or, en Europe, et particulièrement en Belgique, ces insectes sont déjà fortement menacés et ont vu les effectifs de leurs populations s’effondrer ces dernières années. C’est pourquoi les peuplements de tilleuls argentés – essence exotique, je le rappelle, face à laquelle nos Apidés ne sont pas armés des bons réflexes – risquent de provoquer l’extinction des petites populations locales résiduelles.

Bref, une vraie tragédie, et d’autant plus inquiétant que si l’on prend un mètre de recul, force est de constater que la problématique du tilleul argenté s’inscrit en réalité dans le cadre d’une problématique plus globale qu’est l’impact potentiel de la prolifération d’espèces exotiques sur notre faune locale. Une problématique sérieuse face à laquelle nous ne sommes toutefois pas contraints à rester les bras croisés. Plus que jamais, préférons aux essences exotiques nos bonnes vieilles essences indigènes et apprenons à y voir une beauté encore plus forte: celle des écosystèmes en harmonie au sein desquels elles s’inscrivent, jouant un rôle-clef, et dont l’équilibre est aussitôt rompu si on vient les y remplacer. L’idéal dans le cas des tilleuls argentés, si possibilité il y a, serait de les remplacer par des essences indigènes. Le même conseil s’applique à nos jardins. Certaines espèces de chez nous se sont vues marquées injustement d’une mauvaise réputation qu’il convient de déconstruire. Cela s’étant fait au profit d’un exotisme, aux couleurs peut-être plus chatoyantes, mais potentiellement tout aussi insidieux.

Pierre Herinckx - Ce texte est issu d’une chronique diffusée dans l’émission radio "Bruxelles, nature sauvage" sur RCF.

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