Aller au contenu principal

Prenons soin de nos pollinisateurs… La Région bruxelloise et l’importance de la pollinisation urbaine

La pollinisation, c’est par définition le transport par le vent, l’eau ou un vecteur animal d’un grain de pollen depuis une étamine (organe mâle) d’une fleur vers le pistil (organe femelle) d’une autre fleur de la même espèce. Ce qui nous intéressera dans cet article, c’est le vecteur animal, c'est-à-dire la pollinisation via les pollinisateurs, quels qu’ils soient. Les plantes à fleurs et les pollinisateurs vivent une histoire commune remontant à plus de cent millions d'années: les plantes fournissent des ressources alimentaires aux pollinisateurs, qui en retour assurent la reproduction des plantes.

Un problème se pose cependant depuis maintenant quelques dizaines d’années: la sixième extinction de masse n’épargne pas les pollinisateurs. Le déclin de ces derniers a été reconnu par l’UE en 2018 avec le lancement de l’initiative européenne sur les pollinisateurs. En janvier 2023, le texte de cette initiative a été révisé pour mieux cadrer l’action et inverser le déclin. Dans ce nouveau pacte, trois priorités sont mises en avant:

  1. Améliorer les connaissances sur le déclin des pollinisateurs, ses causes et ses conséquences;
  2. Améliorer la conservation des pollinisateurs et lutter contre les causes de leur déclin;
  3. Mobiliser la société et promouvoir la planification stratégique et la coopération à tous les niveaux.

C’est dans la deuxième priorité que se trouve l’amélioration des habitats des pollinisateurs en zone urbaine. L’objectif de cette action est de planifier et gérer correctement les zones urbaines afin qu’elles servent d’habitat et d’abris pour les pollinisateurs.

Dans ce contexte européen de protection de la biodiversité, Bruxelles Environnement a lancé sa Stratégie pour les insectes pollinisateurs et auxiliaires en Région de Bruxelles-Capitale (2023-2030). Celle-ci suit les ambitions nationales de la Stratégie nationale belge en faveur des pollinisateurs (2021-2030). Toutes des initiatives quasi similaires, à différents niveaux institutionnels, en quête d’une seule et même mission: enrayer le déclin des pollinisateurs. Mais pourquoi?

Les pollinisateurs: garants de la vie sur Terre

En Europe, environ 4 espèces cultivées et espèces de plantes à fleurs sur 5 dépendent, au moins en partie, de la pollinisation animale. Cette pollinisation animale se fait essentiellement via des milliers d’espèces d'insectes, dont les 4 groupes principaux sont: 

  • Les Diptères (mouches, moustiques, syrphes…);
  • Les Lépidoptères (papillons);
  • Les Coléoptères (scarabées et insectes avec élytres);
  • Et les Hyménoptères (fourmis, abeilles, guêpes).

Il existe également des espèces pollinisatrices chez les oiseaux (ex. colibris), les mammifères (ex. chauves-souris) et plus rarement dans d'autres groupes d'animaux.

Les pollinisateurs jouent un rôle essentiel pour notre alimentation, car leur action de pollinisation permet aux plantes de se reproduire et de former des fruits, des légumes, des graines... Le rendement de nos cultures en est très dépendant: environ 75% des plantes consommées dans le monde nécessitent, au moins en partie, un vecteur animal pour la pollinisation. 

Il va donc sans dire que si les pollinisateurs disparaissent, nous aurons du mal à consommer à nouveau des pommes, de l’huile de tournesol, du café, du chocolat… Il nous resterait essentiellement des céréales telles que le riz, le blé ou le maïs, cultures dont la pollinisation est réalisée par le vent!

A ce titre, la pollinisation est considérée comme un "service écosystémique de régulation", c'est-à-dire un service rendu gratuitement par la nature aux sociétés humaines qui permet de maintenir l'équilibre et la stabilité des écosystèmes. Ce service rendu rapporterait un chiffre estimé à au moins 5 milliards d’euros par an, à l’échelle européenne, selon les résultats du projet européen INCA. A l’échelle mondiale, on se trouve dans une fourchette entre 153 et 285 milliards d’euros. 

Il faut prendre conscience que les pollinisateurs sont, non seulement garants de notre alimentation, mais également de notre bien-être sur Terre. Malgré leur taille minuscule, ils réussissent à faire perdurer les écosystèmes et garder les sociétés humaines en bonne santé, via les qualités nutritives des aliments pollinisés. 

Quelles abeilles en Région de Bruxelles-Capitale?

En Belgique, on recense 403 espèces d’abeilles sauvages. En Région de Bruxelles-Capitale, on en compte 207, équivalant à 50% des espèces existantes dans notre pays.

Avant de débuter les explications sur ces dernières, il faut savoir que l’abeille domestique (Apis mellifera), que l’on croise régulièrement et qui est utilisée dans les ruches, est une seule et même espèce. C’est une espèce considérée comme "agricole" ou "domestiquée" qui n’existe plus à l’état naturel dans notre région.

Plus de 200 espèces d’abeilles sauvages en Région de Bruxelles-Capitale ne produisent pas de miel et s’abritent dans différents habitats. Parmi elles, l’Andrène vague revêtant un pelage argenté, la Dasypode à culotte, ayant les pattes arrière couvertes de poils dorés, ou le simple Bourdon terrestre, beaucoup plus reconnaissable de par son aspect velu et trapu. Elles sont méconnues des citadins, et pourtant essentielles à la nature et végétalisation urbaine.

Le tableau ci-dessous présente les principales différences entre abeilles domestiques et abeilles sauvages:

Critère Abeille domestique Abeilles sauvages
Taille De 1 à 2 cm. De 2 mm à près de 4 cm.
Nidification Très larges colonies de plusieurs dizaines de milliers d’ouvrières stériles dans un nid artificiel. Terricoles (nidification dans la terre), sabulicoles (dans le sable, au Kauwberg, par exemple), hélicicoles (dans les coquilles d’escargots vides), caulicoles (dans des tiges creuses de bambous, roseaux…), rubicoles (dans les tiges à moelle tendre comme les ronces ou le sureau), xylicoles (dans le bois), parasites (ex. abeilles-coucous qui pondent dans le nid d’autres abeilles).
Alimentation Très généraliste, pouvant se nourrir d’une large gamme de végétaux. Soit très généralistes et se nourrissent d’une large gamme de plantes, soit spécialistes d’une seule famille botanique, voire parfois d’une seule espèce de plante pour se nourrir.
Sociabilité Vit en colonie, donc plutôt sociale. Soit sociales (comme les bourdons vivant en bourgade), soit solitaires. Quelques espèces sont cleptoparasites (comme les abeilles-coucou)
Rayon de butinage Plusieurs kilomètres Une centaine de mètres
Tendance des populations Supposé stable Déclin

Les abeilles domestiques, si elles sont trop nombreuses, peuvent représenter un risque pour la biodiversité urbaine. Voici quelques explications grâce une expérience qui a étudié un réseau d’interactions entre les plantes et les pollinisateurs:

La figure ci-contre (extraite de l'article de Geslin et al. 2017, voir références) illustre les modifications d'un réseau d'interactions plantes-pollinisateurs, avant et après l'introduction de ruches d'abeilles domestiques dans un site expérimental à Paris.

La partie de la figure intitulée "Sans ruches" correspond à la situation avant l'introduction des ruches, la partie "Avec ruches", à la situation après insertion de 5 ruches à proximité. Les carrés et rectangles du haut de chaque partie représentent l'abondance et la diversité des groupes d'espèces pollinisatrices, ceux du bas représentent celles des espèces de plantes à fleurs. En noir, les interactions des pollinisateurs sauvages et en jaune, celles des abeilles domestiques.

Le réseau est modifié considérablement par l’introduction d’abeilles domestiques dans l’espace urbain: les pollinisateurs sauvages font beaucoup moins de visites dans les plantes. Cette diminution influence l’abondance et la diversité des espèces présentes, tant pour les plantes que pour les pollinisateurs. Les abeilles domestiques, généralistes, font un véritable hold-up et accaparent une grande partie des ressources floricoles à proximité. Cela induit une relation de compétition interspécifique assez dangereuse pour l’équilibre des populations sauvages en ville.

La présence massive de ruches en Région de Bruxelles-Capitale peut modifier le réseau d’interactions entre abeilles domestiques et sauvages, et de ce fait nuire aux écosystèmes en place. Les abeilles sauvages n’ont pas les mêmes capacités que les domestiques, et elles auront, dans le futur, beaucoup plus de difficultés à s’adapter à la vie urbaine que leurs compatriotes ruchaires. Il est donc impératif de protéger cette diversité bruxelloise!

Et les autres pollinisateurs?

La diversité des autres pollinisateurs en milieu urbain est moins relatée et pourtant très importante. En particulier parmi les diptères, les syrphes jouent un rôle discret mais essentiel dans la pollinisation. Leur déclin nous concerne tout autant.

Les papillons, mouches, scarabées, sont des espèces d’insectes floricoles, se nourrissant entièrement ou partiellement dans les fleurs. Ils permettent la pollinisation de certaines plantes et sont parfois spécialistes d’une seule et même espèce végétale, comme la Mouche des Narcisses (Merodon equestris). Les relations plantes-insectes sont variées et complexes, et leur pluralité montre l’importance de la biodiversité des pollinisateurs pour le maintien de certaines espèces végétales. 

Les pollinisateurs sont en déclin. Pourquoi?

L'érosion de la biodiversité n’est pas nouvelle, mais elle se fait de plus en plus ressentir. Parmi les divers facteurs qui contribuent au déclin des populations d’abeilles et de pollinisateurs, on peut citer:

  • La destruction des habitats, via notamment la bétonisation et l'imperméabilisation des sols;
  • La "carpétisation" des jardins et les tontes excessives empêchant la floraison des végétaux;
  • La fragmentation des habitats avec, en cause, les axes routiers créant des barrières physiques limitant la connectivité entre les espaces naturels;
  • La plantation de variété horticoles qui produisent peu de nectar ou de pollen; 
  • L’utilisation de pesticides; 
  • L’arrivée d’espèces exotiques envahissantes; 
  • Le changement des aires de répartition des espèces;
  • Les phénomènes météorologiques extrêmes;
  • La pollution lumineuse;
  • La compétition interspécifique, notamment avec l'abeille domestique (Apis mellifera)…

Que pouvons-nous faire?

Pour inverser ce déclin de pollinisateurs et cette érosion de la biodiversité, il est de notre devoir à tous.tes de mettre en place – au-delà des stratégies européennes, nationales et régionales – des actions concrètes dans nos jardins.

Pour cela, plusieurs associations ou particuliers œuvrent au développement de jardins naturels, comme le Réseau Nature de Natagora. Sur le site web de la régionale Natagora Bruxelles, vous trouverez également de nombreux conseils de jardinage dans la rubrique Jardinons Nature.

Sachant que la plupart des abeilles nidifient dans le sol ou dans des aménagements naturels, ces espaces sont primordiaux au développement et à la reproduction des insectes pollinisateurs. En ville, ces milieux sont rares et grandement perturbés et/ou menacés de destruction. Pour éviter l’artificialisation et l’uniformisation des milieux, quelques petits conseils pour se rallier à la protection des pollinisateurs : 

  • Conserver des espaces pentus, en butte, non cultivés avec une végétation éparse;
  • Couper les herbes à ras et ne pas les arracher, et créer des zones de pelouses non coupées en rotation, histoire de ne pas leur couper les vivres d’un seul coup;
  • Prévoir si possible un tas de terre ou de sable, maintenu désherbé;
  • Laisser les plantes à tiges creuses ou tendres dans un coin de son jardin;
  • Créer un tas avec quelques bois morts et tiges séchées;
  • Laisser sur pied un tronc d’arbre mort; 
  • Garder des feuilles mortes sur une parcelle en hiver pour créer un refuge;
  • Privilégier des haies champêtres…

Toutes ces actions sont réalisables au niveau d'une habitation ou d’un quartier, et même les plus modestes auront une grande répercussion sur la diversité urbaine. Voyez vous-même, les insectes paraissent insignifiants, mais sont certainement les acteurs les plus conséquents dans le processus de pollinisation

Florine Lebeau (Juin 2023)

 

Sources:

Pour aller plus loin: 

Partager sur :Email

Soutenez Natagora

Vous aimez la nature ? Aidez-la !

Participez avec Natagora à la préservation de l’environnement en Wallonie et à Bruxelles. Apportez votre voix à la nature en devenant membre de Natagora et soutenez activement nos actions en rejoignant notre groupe de volontaires.
 

JE DEVIENS MEMBREJE VOUS REJOINS

Faire un don

Vos dons rendent possibles toutes les actions de notre groupe de volontaires en faveur de la biodiversité. Déductibilité fiscale à partir de 40 € de dons par an.

JE PARTICIPE