Aller au contenu principal

Plantes toxiques: gérer nos belles vénéneuses au jardin

École, écrans, travail en intérieur, loisirs multiples: peu d’entre nous ont (eu) le temps de s’ennuyer, de "traîner" dans la nature et de l’observer de près. De fait, nous ne connaissons plus les plantes comme nos ancêtres campagnards. Et si les livres sur les plantes sauvages comestibles et médicinales foisonnent désormais et que la nature retrouve une place dans les jardins écolo-bio-permacoles, il est bon de se rappeler que certains végétaux ne sont pas forcément tendres avec notre espèce.

Après un article à portée philosophique paru dans notre rubrique "La nature en questions", nous vous proposons un article pratique en vue de minimiser (et relativiser) les risques au jardin. Les chiffres cités sont issus du rapport annuel 2022 du Centre Antipoisons.

Une minorité de plantes toxiques

En réalité, la majorité des plantes sont inoffensives pour l’humain. En 2022, les intoxications dues à des plantes (2.225 cas) ne représentaient que 4,6% de toutes les intoxications enregistrées par le Centre Antipoisons (qui totalisaient 48.039 victimes humaines). Dans le top 10, on trouvait, outre les plantes non identifiées, les gouets (Arum), le monstera (plante d’intérieur), le muguet, les Prunus (probablement surtout le laurier-cerise), les morelles (Solanum), les courges (Cucurbita – probablement les variétés décoratives, non comestibles), les euphorbes, l’if (Taxus baccata) et les troènes (Ligustrum).

Mais qu’est-ce qui fait au juste la dangerosité d’une plante?

  • les molécules qu’elle contient et leur concentration (qui peut varier entre les différentes parties d’une même plante)
  • l’attirance qu’elle peut susciter par la présence de baies, de graines, de cosses ou de fleurs colorées
  • la ressemblance avec une plante comestible (risque de confusion)
  • le terrain allergique de l’individu
  • la quantité consommée en fonction du poids du consommateur. La vigilance est de mise avec les enfants de 0 à 4 ans, qui forment un groupe important parmi les victimes d’intoxications de toutes sortes (et d’accidents en général). Dès qu’ils en sont capables, ils explorent leur environnement en mettant tout en bouche, et leur masse corporelle réduite fait qu’ils peuvent s’intoxiquer gravement même avec un petit bout de plante.

La dangerosité d’un végétal est donc à envisager au cas par cas… et même la plante la plus vénéneuse ne vous fera rien si vous ne la touchez pas!

Un régal pour les yeux (et seulement eux)

Certaines beautés qui égaient nos jardins et terrasses contiennent des composés très toxiques: aconits, digitales, colchiques, narcisses, muguet, laurier-rose, brugmansia, tabac, azalées et rhododendrons… Tous les végétaux de la famille des Renonculacées (aconits, boutons d’or, clématites, pieds-d’alouette, anémones, hellébores, ancolies, adonis, pigamons, nigelles…) produisent des alcaloïdes, hétérosides et lactones… et de bien jolies fleurs!

Mais à part les petits curieux, qui aurait l’idée de les manger? Le danger vient souvent de l’eau des vases, bue par erreur si on la laisse traîner après avoir retiré les fleurs. Ceci dit, l’utilisation de fleurs pour décorer les plats est à la mode. Ne jouez pas aux apprentis sorciers et cantonnez-vous aux classiques: bourrache, rose, violette et pensée, capucine, souci, mauve, monarde…

Il faut également veiller à ce que les enfants ne mâchouillent pas certains feuillages courants comme celui de l’if, du buis, du lierre, du thuya, des hortensias… et bien sûr des plantes citées plus haut.

Des petits fruits peu adaptés aux humains

Les baies constituent un risque plus évident car elles sont attirantes pour les gourmands de tous âges. Mais elles sont avant tout destinées aux oiseaux, qui assurent la dissémination des graines par l’intermédiaire de leur tube digestif. Et dans la plupart des cas, elles sont indigestes ou toxiques pour les humains! Ainsi, ma petite voisine me fit un jour une grosse frayeur en déclarant: "Ah, les groseilles sont bientôt mûres, on va pouvoir les manger!" C’était du bois-joli et on était au mois d’août…

Le bois-joli (une espèce de daphné appelée aussi bois-gentil – belle ironie) porte en effet des baies rouges à la fin de l’été – et c’est une plante toxique dans toute ses parties. Mais il est beaucoup moins courant que l’if, le troène et le laurier-cerise, utilisés en haies à grande échelle. Le premier est un conifère persistant assez particulier dont les fruits ressemblent à des baies rouges. Leur chair est en réalité comestible, mais la graine est très toxique. Le troène porte des baies noires, le laurier-cerise (Prunus laurocerasus) des baies rouges. Les fusains sont également fréquemment plantés et possèdent des baies très toxiques.

De nombreuses baies ne provoquent que des irritations et vomissements (réaction de protection de l’organisme), parce que leur toxicité est faible et/ou parce qu’elles ont un goût inintéressant qui fait qu’on ne prolonge pas l’expérience. Le danger est ainsi moindre avec les baies de morelle noire, morelle douce-amère, houx, gui, aucuba, symphorine, chèvrefeuille, cotonéaster, buisson ardent (Pyracantha)…

Les baies des espèces suivantes sont nettement plus toxiques: muguet, sceaux de Salomon, gouets, bryone dioïque, lierre (mais elles sont très amères), actées/cimicifugas/cierges d’argent (encore des Renonculacées) ou parisette (Paris quadrifolia). Mais c’est probablement de la belladone qu’il faut se méfier le plus, car ses fruits noirs luisants sont sucrés! Elle est heureusement très rare dans les jardins.

Vous retrouverez les quelques espèces indigènes comestibles dans notre article sur les fruits sauvages.

Un autre danger vient des cosses et des graines, lorsqu’elles sont assez grosses pour être utilisées dans les jeux de dînette: cytises ou pluies d’or (Laburnum), genêt, lupin, stramoine, glycine, pois de senteur, robinier, ricin... Il en va de même pour les akènes (fruits secs) des Apiacées (voir ci-dessous).

Cuisine sauvage et confusions mortelles

Les champignons ne sont pas les seuls organismes dont il faut se méfier lorsque l’on pratique la cueillette. Une famille végétale doit retenir toute notre attention: celle des Apiacées, anciennement nommées Ombellifères. Elles se caractérisent par des inflorescences en ombelles blanches ou jaunes, parfois rosées. De très nombreuses plantes comestibles appartiennent à cette famille: carotte, céleri, cerfeuil, fenouil, aneth, carvi, panais, angélique, cumin, persil, livèche, coriandre, cerfeuil des bois (Anthriscus sylvestris), cerfeuil musqué (Myrrhis odorata), égopode podagraire, berce commune…

Les espèces de cette famille sont réputées difficiles à identifier, or il y a parmi elles des espèces toxiques, dont 4 espèces potentiellement mortelles: la petite ciguë (Aethusa cynapium), la ciguë vireuse (Cicuta virosa), la grande ciguë (Conium maculatum) et l’oenanthe safranée (Oenanthe crocata). Une astuce pour tenter de les identifier: elles sont glabres, c’est-à-dire qu’elles n’ont pas de poils. Leurs tiges et leurs feuilles sont entièrement lisses.

Autres confusions dangereuses: réaliser des beignets de consoude en utilisant des feuilles de digitale, ou un pesto d’ail des ours en hachant quelques feuilles de muguet ou de colchique au passage… L’utilisation de plantes sauvages ne se contente pas d’à-peu-près, il faut savoir les identifier avec 150% de certitude!

Votre peau, un organe à protéger

Beaucoup de plantes vénéneuses le sont uniquement par ingestion: on ne court pas de risque à les toucher. Toutefois, la sève de certains végétaux peut sensibiliser la peau aux rayons du soleil: apparaissent alors des substances pouvant brûler la peau. On parle de plantes photosensibilisantes.

Dans ce groupe, la berce du Caucase (ou berce géante) est la plus redoutable: elle peut occasionner des brûlures au second degré. Mais berce commune, céleri, panais (et encore d’autres plantes de la famille des Apiacées), rue (Ruta graveolens), millepertuis (aussi par ingestion)… ne sont pas inoffensifs non plus. Dans certains cas, la peau reste sensible au soleil plusieurs jours, même après rinçage.

D’autres végétaux ont une sève irritante: euphorbes (dont l’étoile de Noël), chélidoine, glycine, gouets, clématites, symphorine, orpin âcre, tamier commun, bois-joli… Veillez à ne pas vous frotter les yeux non plus après avoir touché des plantes, pour éviter une irritation, voire une lésion de la cornée! Dans le cas de la stramoine et du brugmansia, on observe une dilatation de la pupille entraînant une hypersensibilité à la lumière. Certaines personnes souffrent également d’allergies (dermatites de contact), le plus souvent avec le lierre, les hortensias (Hydrangea) et les primevères.

Pour prévenir les problèmes, sortez couvert! Jardinez toujours avec pantalon, manches longues, chaussures fermées et gants, et habillez suffisamment les enfants lorsqu’ils jouent dans les hautes herbes et les broussailles. Protégez-vous également les yeux pour éviter les projections de sève (et les branches).

Un jardin sûr pour tous

Comme le disait déjà François Rabelais, "Ignorance est mère de tous les maux." Voici comment protéger votre famille et vos visiteurs gourmands de tous âges:

1re étape: apprenez à connaître et identifier les plantes dangereuses et toutes les plantes de votre jardin

2e étape:

  • soit vous bannissez toutes les espèces toxiques de votre jardin et supprimez toutes les plantes que vous n’identifiez pas avec certitude – et vous vous privez de beaucoup de plantes jolies et/ou utiles pour la biodiversité, qui sont parfois des classiques des jardins
  • soit vous gérez le risque: vous sensibilisez et responsabilisez votre entourage, vous ne laissez jamais seuls les petits enfants. Expliquez que certaines plantes sont dangereuses, qu’on ne met rien en bouche sans demander l’avis d’un adulte, qu’on se lave les mains après avoir touché une plante… Il n’est pas interdit de leur faire un peu peur! Dans la mesure du possible, transmettez votre savoir botanique à vos proches – ne comptez pas sur l’école pour cela…

Mais nous le répétons: le risque zéro n’existe pas, personne n’est à l’abri d’une allergie… ou d’une haie d’if croisée dans l’espace public!

 

Julie Bingen (décembre 2023) 

Partager sur :Email

Soutenez Natagora

Vous aimez la nature ? Aidez-la !

Participez avec Natagora à la préservation de l’environnement en Wallonie et à Bruxelles. Apportez votre voix à la nature en devenant membre de Natagora et soutenez activement nos actions en rejoignant notre groupe de volontaires.
 

JE DEVIENS MEMBREJE VOUS REJOINS

Faire un don

Vos dons rendent possibles toutes les actions de notre groupe de volontaires en faveur de la biodiversité. Déductibilité fiscale à partir de 40 € de dons par an.

JE PARTICIPE