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Le Kauwberg: histoire d’une lutte réussie!

À Uccle, un site naturel a résisté maintes fois à des pressions urbanistiques… voici son histoire. Classé au patrimoine et zone Natura 2000, le Kauwberg illustre l'importance de l'engagement citoyen dans la lutte pour la préservation des espaces naturels.

À Bruxelles, les luttes pour la protection d’espaces naturels en ville ont toujours existé. Certains sites n’ont pas pu être protégés d’une destruction totale ou partielle, comme le Keelbeek, le Val d’Or, le Meylemeersch; d’autres sont en plein combat, comme la Friche Josaphat (voir le dossier sur notre site) ou le Marais Wiels; et d’autres ont terminé leur lutte avec brio: c’est le cas du Kauwberg.

Tout d’abord, du point de vue géographique, le site se trouve entre l’avenue Dolez, la chaussée de St-Job et le chemin de fer et l’avenue de la Chênaie sur la commune d’Uccle. Il se compose aujourd’hui de 53 hectares d’espace semi-naturel. Il bénéficie d’une diversité de milieux exceptionnels: lande à genêt, prairies, bosquets de bouleaux et de saules, zones marécageuses, zones de pelouses xérophiles. Cet espace ne manque certainement pas de richesse biologique de très haute importance pour une ville comme Bruxelles.

Les sites semi-naturels, comme celui du Kauwberg, sont des "espaces-lisières, situés aux confins de la ville, ils font lien entre le dehors et le dedans, espaces-frontières, ils séparent et relient tout à la fois, comme des no man's land qui, n’étant à personne, pourraient bien être à tout le monde" (Ost, Remy et Van Campenhoudt, 1993). Ils font la liaison entre ville et campagne, possédant une richesse botanique et ornithologique uniques. Ils ont par le passé été utilisés pour des pratiques agro-pastorales d’abord et industrielles ensuite (extraction, cultures…) et sont devenus, avec l’abandon des sociétés humaines, des friches naturelles représentant une bouffée d’oxygène urbaine.

Étymologiquement, Kauwberg signifie "Froidmont", soulignant l’altitude à laquelle se trouve le site (plus de 100m!). À l’origine, il était apparenté à la forêt de Soignes, comme une zone de forêt secondaire entourant la forêt domaniale. Il fut cependant déboisé au milieu du 19ème siècle, pour y créer d’abord des terres de cultures, par après une carrière pour l’extraction de limon destiné à la fabrication de briques, et ensuite un lieu d’exploitation du sable des sous-sols.

Le site fut opérationnel jusqu’à la fin de la Deuxième Guerre Mondiale. Dans les années 60, il ne fut pas aménagé en lotissements (comme d'autres quartiers des environs) car il devait devenir un nœud autoroutier entre le Ring et une autoroute Uccle-Waterloo. Ce projet n’aboutira pas grâce à la mobilisation des différents comités de quartier de la commune d’Uccle pour empêcher le passage de cette autoroute sur le site. L’autoroute elle-même posait trop de difficultés logistiques (liées à la densité de l’habitat) et ne fut jamais construite.

En 1987, c’est un autre projet d’aménagement qui menace encore cet écrin de verdure: le conseil communal de l’époque souhaite établir un Plan Particulier d’Affectation sur le site pour la construction d’un golf international accompagné de 200 logements. Ce Plan d’Aménagement aurait exigé la modification du statut de la zone (qui était une zone de réserve foncière) et n’aboutira pas, de nouveau grâce aux différentes associations en place.

Le but de ces associations est de se démener afin de démontrer l’importance biologique du site et son rôle social auprès des Bruxellois. Des fêtes champêtres sont organisées et les citoyens montrent leur engouement pour la protection de l’endroit. Une dynamique s’enclenche et tout un réseau citoyen se met en place, des événements de sensibilisation du lieu sont lancés: visites guidées, classes vertes, journal d’information de l’association SOS Kauwberg, participation aux colloques sur l’environnement, etc. C’est toute une synergie qui se crée autour du Kauwberg, qui devient ainsi un lieu de partage et de rencontres socio-environnementales et culturelles.

En 1989, grâce aux associations et à une pétition signée par 10.000 personnes, le Roi Baudouin signe l’Arrêté d’expropriation de 20 ha du Kauwberg. Un arrêté d'expropriation est une cession amiable ou forcée d'un droit sur un bien immobilier réalisée dans un but d'utilité publique. Un budget de la région est également alloué pour cette expropriation. 

Dès les années 90 et grâce aux efforts conjoints des associations et des citoyens, 22 ha sont donc expropriés. La question des 31 autres ha n’est pas tranchée et c’est en 2003, après de longues discussions, que le site dans son entièreté est affecté en tant qu’espace vert au PRAS (Plan Régional de l’Affectation des Sols); il était autrefois considéré comme zone de réserve foncière au sein des anciens Plans de Secteur. En 2004, le gouvernement régional classe les 54 ha du site à l'inventaire du patrimoine bruxellois. Le Kauwberg est également recensé dans le réseau Natura 2000 comme Zone spéciale de Conservation (ZSC). Les ZSC sont, en droit de l’Union européenne, un site naturel ou semi-naturel désigné par les États membres, qui présente un fort intérêt pour le patrimoine naturel exceptionnel qu'il abrite. 

Depuis le 1er janvier 2019, après plus de 10 années de débats, la Région bruxelloise est officiellement propriétaire de la plus grande partie du Kauwberg, au terme des procédures judiciaires avec les propriétaires privés, qui ont été indemnisés suite à l’expropriation du site. Suite à cette dernière, c’est Bruxelles Environnement qui a repris sa gestion. Deux plans complémentaires ont été rédigés: un plan pour la gestion écologique du site en concordance avec ses statuts de ZSC; et un schéma d’orientation plus général qui décrit le développement de projets sur le site, les fonctions qui y seront développées dans le respect de ses statuts (Kinfo n°118). 

Au-delà de son importance biologique et environnementale, le Kauwberg a une image de nature civilisée, et pour les habitants du quartier, cette dernière fait partie de leur quotidien. Son importance sociale est primordiale. Le site a pu accueillir plusieurs générations de citoyens depuis les diverses phases d’aménagements territoriaux. Une bulle associative ouverte aux citoyens s’est formée, comme si le Kauwberg était leur propre jardin. Son importance socio-historique se traduit par l’entretien du site et la multiplicité des usages dont il est témoin. Il est aujourd’hui le lieu de nombreuses pratiques individuelles ou collectives, lieu d’interactions entre différents usagers, allant des citoyens aux groupes sociaux, en passant par les pouvoirs publics, les associations, etc. C’est donc devenu, malgré tous les différends à la source desquels il a été, un endroit de partage interculturel et intergénérationnel. C’est un milieu plurifonctionnel, accessible à tout un chacun, un espace libre en plein milieu d’une agglomération urbaine.

 

Ce site semi-naturel bruxellois a donc une longue histoire de lutte environnementale derrière lui et fait depuis longtemps partie intégrante de l’histoire du quartier dans lequel il se trouve, mais également de la région bruxelloise. L’importance socio-culturelle de cet espace est indubitable: d’une part, il fonctionne comme vestige et témoin de l’histoire pour les anciens habitants, d’autre part, il est créateur d’une nouvelle histoire du quartier, constituée par la lutte contre les multiples pressions qu’il a subies. Les habitants se sont réapproprié le lieu, et la belle histoire du Kauwberg peut continuer.

Florine Lebeau (janvier 2023)
 

Sources

 

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